Nuits debout de tous les pays…

Bruxelles, Valence, Montréal… Des rassemblements ont vu le jour au-delà des frontières françaises, témoignant d’un ras-le-bol général. Reportage à Berlin.

Lena Bjurström  • 11 mai 2016 abonné·es
Nuits debout de tous les pays…
© Photo: Lena Bjurström

À Nuit debout Berlin, on se comprend en anglais. Et pour cause : ce mercredi soir, il y a autant de Français que d’Allemands sur la Mariannenplatz. Une quarantaine de personnes sagement installées sur les marches de pierre face à deux organisateurs chargés de gérer les tours de parole. Pas de sono, pas de micro, pas même un mégaphone. Nuit debout Berlin est, ce soir, en tout petit comité. Des expatriés français, activistes allemands ou simples citoyens curieux et quelques Parisiens en vacances, venus voir ce qui se passait outre-Rhin.

L’organisation est sommaire, mais peu importe : les participants sont essentiellement venus pour discuter. « C’était un peu l’idée », souligne Alex (équivalent germanique de « Camille », le prénom mixte que se donnent les manifestants en France pour qu’aucun individu ne se distingue). Début avril, cette jeune Française installée à Berlin a posté un message sur un groupe Facebook d’expatriés francophones : « Et si, nous aussi, nous faisions une Nuit debout ? »

Alex n’est pas la seule à lancer l’idée. Le message circule et, rapidement, un petit groupe franco-allemand se constitue. « Nous voulions montrer notre solidarité avec les Français dans leur lutte contre la loi travail, explique la jeune femme, mais, au-delà, il s’agissait d’élargir le débat. Cette loi fait partie d’une vague de libéralisation du travail qui touche toute l’Europe. Certains, comparent ainsi la loi travail aux réformes Hartz en Allemagne [réformes du marché du travail mises en place entre 2003 et 2005, sous le mandat du chancelier Gerhard Schröder, NDLR]. »

Global Debout le 15 mai

Le mouvement s’internationalise le 15 mai, date anniversaire du mouvement du 15 M, né le 15 mai 2011 en Espagne, avec ses « marées sociales ». À Madrid, rassemblement à la Puerta del Sol. Rendez-vous à Athènes sur la place ­Syntagma. À Bruxelles, c’est le Mont des Arts qui sera occupé. À Rome, la piazza della Rotonda. Mais le mouvement dépasse l’Europe : Toronto sera de la partie, au Nathan Phillips Square, et même Dataran Merdeka (place de l’Indépendance), lieu phare de Kuala Lumpur, la capitale de Malaisie. Le but de l’appel lancé par Nuit debout étant de déclencher des débats sur les migrants, l’austérité, le libre-échange… « Laissons de côté nos étiquettes et nos intérêts particuliers pour nous réapproprier ensemble la parole et l’espace public : nous faisons de la politique, car elle est l’affaire de tou.te.s ! »

Le 9 avril, la première Nuit debout est lancée. Une centaine de personnes se rassemblent sur la Mariannenplatz, dans un petit parc du sud de Berlin. On y discute capitalisme et crise des réfugiés. « Il y a tellement de sujets politiques qui ont été abordés !, s’enthousiasme Alex. Moi, ça ne m’était jamais arrivé de discuter de ces questions avec de parfaits inconnus, qui plus est des étrangers. Nuit debout permet de nouer des liens et de remettre à plat nos interrogations politiques. » Depuis, Nuit debout Berlin se réunit tous les mercredis et samedis soirs, avec une participation variable.

Alors que la nuit tombe sur le parc, quelques représentants de commissions passent devant l’Assemblée. Commission internationale, commission Arts debout, commission Travail et Économie… Puis chacun vient proposer un groupe de discussion pour la soirée. « C’est un mode de fonctionnement que nous avons lancé il y a environ trois semaines, explique Alex, parce que les gens qui viennent ici ne sont pas tous des activistes, encore moins des orateurs. On a remarqué que l’on discutait plus facilement en petit comité et, comme on est peu nombreux, on peut se le permettre. » Depuis, à chaque assemblée, de petits groupes sont constitués, selon les sujets que les participants veulent aborder. « Parfois, il y a des comptes rendus devant l’assemblée, parfois non. Tout cela est très flexible, on expérimente », glisse un participant de la première heure.

Ce soir, certains vont discuter liberté d’expression autour de l’affaire de l’évacuation d’Alain Finkielkraut de la place de la République, polémique qui a, semble-t-il, aisément traversé les frontières. D’autres vont parler de l’organisation du 15 mai, date de rassemblements dans toute l’Europe. « Pour le moment, il n’y a pas vraiment de coordination entre pays, note Alex. Bien sûr, nous autres, Français de Berlin, avons tous des amis qui sont allés place de la République, mais ils ne font pas forcément partie des organisateurs. Chaque ville lance sa propre initiative et la gère à sa façon. »

Pour Nuit debout Berlin, les assemblées générales bihebdomadaires sont complétées par un forum en ligne où quelque trois cents personnes débattent théorie politique et organisation. Un mode de fonctionnement en réseau qui correspond assez bien aux méthodes d’activisme allemandes, selon Mark, membre d’une association anti–austérité et nuit-deboutiste occasionnel. « Ce qui se passe en France est très significatif d’un ras-le-bol général, En Allemagne, nous n’avons pas la même tradition de défilés de rue qu’en France, explique le quadragénaire_. La question est donc de savoir comment ce mouvement peut évoluer ici. »_

Société
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