Patti Smith : Des nouvelles du temps qui passe
Entre rêves, voyages et figures tutélaires, le nouveau livre de Patti Smith distille des chroniques intimistes.
dans l’hebdo N° 1402 Acheter ce numéro
Comme tout amoureux des livres, Patti Smith aime ce geste de la première fois qui consiste à ouvrir un livre jamais lu et à en lire la première phrase. On peut donc imaginer qu’elle y a pensé en choisissant celle de M Train : « Ce n’est pas si facile d’écrire sur rien. » Même si l’on apprend très vite qu’elle est prononcée par un personnage dans un de ses rêves, une telle phrase en ouverture n’est pas neutre. M Train est-il donc un livre sur rien ? Certainement pas, mais on peut lire cette ouverture comme un avertissement. Le livre ne raconte pas une histoire linéaire, on n’y trouve ni développement narratif ni chronologie cohérente.
Finalement, M Train est surtout un livre de déambulation. Patti Smith déambule dans sa vie, ses souvenirs et ses rêves, très présents. On la voit aussi déambuler chez elle, au milieu de ses chats et de ses innombrables notes prises dans des carnets ou sur des serviettes en papier, phrases jetées au fil de l’inspiration, souvent écrites dans son bistrot préféré, le Café ‘Ino, où elle écrit, lit, pense, rêve, en enchaînant les cafés qui semblent être une nécessité quotidienne. Même ses déplacements dans le monde ont quelque chose de déambulatoire.
À l’objet principal du voyage, s’ajoute presque toujours – et c’est celui qui suscite une description dans le livre – un objet second qui s’apparente fort à un pèlerinage sur les traces de diverses figures de son panthéon artistique. De ces pèlerinages restent quelques clichés rapportés ici. La chaise de Roberto Bolaño, la canne de -Virginia Woolf, la machine à écrire d’Hermann Hesse, la tombe de Jean Genet… Patti Smith prend des photos comme elle prend des notes. M Train est une façon de rassembler et de donner une forme à quelques-unes de ces notes, prises au fil du temps sous formes de chapitres qui sont autant de tranches de vie. Elle a sa façon de résumer cela : « Essayer de bâtir une narration subjective à partir d’une chronologie asymétrique. »
C’est une Patti Smith qui parle d’elle, des petits riens de tous les jours comme de ses parentés artistiques, de sa famille, des morts qui l’accompagnent. Beaucoup d’écrivains, pas de musiciens, sauf Fred Smith, mais parce qu’il était aussi son mari et le père de ses enfants. Fred Smith, mort en 1995 et pour lequel elle a cet appel du cœur, près de vingt ans après sa disparition : « Reviens, tu as été parti trop longtemps. » Autant de chroniques du temps qui passe et, surtout, qui est passé. Avec en filigrane cette question universelle en fin de livre : « Comment avons-nous pu devenir aussi vieux ? »