Biennale du divers : Voyage en insolite

Outre la pluie, les -Parisiens peuvent facilement avoir le sentiment d’être submergés par l’offre culturelle de leur ville. De ce flot continu, charriant mille et une tentations, la Biennale du divers parvient à émerger nettement dès sa première édition [^1]. Cela tient à plusieurs raisons.

Tout d’abord, il y a ce nom qui attrape l’œil, intrigue l’esprit et donne envie d’en savoir davantage. Ouvrant sur une mer de possibles, la notion du « divers » découle de l’œuvre d’Édouard Glissant, révèle Margot Videcoq, qui assure la programmation de la Biennale en binôme avec David Sanson. « Particulièrement inspirantes en ces temps troublés, la pensée et la poésie de Glissant ont guidé de manière intuitive la préparation de la Biennale. Nous avons d’ailleurs trouvé le nom avant d’en élaborer le contenu – la notion de “divers” agissant sur la programmation de manière libre et l’inscrivant dans le champ des grandes problématiques du monde d’aujourd’hui. » À l’appui de ses propos, Margot Videcoq cite ces mots de Glissant : « Tous les possibles, toutes les contradictions sont inscrits dans ce divers du monde. »

Autre raison du vif intérêt suscité par cette Biennale naissante : le lieu majestueux qui lui sert de cadre, en l’occurrence le Collège des Bernardins. Joyau de l’art cistercien, incrusté dans une petite rue du Ve arrondissement, au cœur historique de Paris et néanmoins à l’écart des flux touristiques, le Collège fait partie de ces trésors cachés que les passants pressés ne peuvent dénicher. Édifié au XIIIe siècle pour servir de lieu d’études et de recherches aux moines cisterciens, le Collège a contribué au rayonnement intellectuel de Paris jusqu’à ce que la Réforme entraîne son déclin. Après la Révolution, il est confisqué et, devenu bien public, reconverti au fil du temps en prison, entrepôt, caserne de pompiers ou internat. Racheté par le diocèse de Paris en 2001 puis réhabilité, il renoue en 2008 avec sa vocation première : être un lieu où l’on prend le temps d’écouter, de regarder, d’apprendre et d’échanger.

S’il dispense une formation théologique, le Collège des Bernardins développe également – sous l’intitulé « Questions d’artistes » – une importante activité culturelle, proposant des expositions d’art contemporain, des concerts, des performances, des conférences, colloques et débats tout au long de l’année. Dans le prolongement direct de « Questions d’artistes », la Biennale du divers trouve naturellement place au Collège des Bernardins et entre intimement en résonance avec le lieu.

« David Sanson et moi avons conçu la programmation durant plusieurs mois, précise Margot Videcoq. Nous avons sélectionné des artistes dont les œuvres pouvaient, selon nous, s’accorder à l’identité du Collège. Nous avons passé beaucoup de temps sur place et avons invité les artistes à faire de même. Nous leur avons aussi donné la possibilité de choisir avec nous leur espace de représentation. Les lignes architecturales et l’humeur du lieu ont parfois influencé les choix de manière évidente. »

Très stimulante, la programmation constitue une raison supplémentaire (et pas la moindre) d’accorder une attention particulière à la Biennale du divers. Située au confluent de plusieurs disciplines (musique, spectacle vivant, arts plastiques, cinéma), elle génère un archipel artistique joliment atypique et, déployée dans les différents espaces du Collège, elle invite le public à naviguer au gré de ses envies, d’un îlot à l’autre – la traversée durant au maximum dix heures, de 14 heures à minuit.

Dans la splendide salle de la Nef, on peut par exemple assister à l’étonnante rencontre scénique entre le danseur-chorégraphe Mickaël Phelippeau et le prêtre Jean-Yves Robert (Bi-portrait Jean-Yves), découvrir l’opéra miniature du duo lunaire Grand Magasin (La Princesse et les feuilles), entendre les concerts de l’ensemble de musique contemporaine Dedalus – jouant une pièce du compositeur minimaliste américain James Tenney – et du duo Arlt – pratiquant une forme de folk aux reliefs singuliers –, ou encore voir les solos des danseurs-chorégraphes Volmir Cordeiro (Rue) et Vera Mantero (On peut dire de Pierre) – le premier se confrontant à des poèmes sur la guerre de Bertolt Brecht, la deuxième interagissant avec la voix de Gilles Deleuze (fragments de cours sur Spinoza).

D’autres propositions insolites sont disséminées dans le Collège, du cellier à l’ancienne sacristie en passant par le grand et le petit auditoriums. Citons en particulier trois créations conçues spécialement pour l’occasion : l’installation liquide du plasticien Stéphane Thidet (Solitaire), le concert–performance du pianiste Stéphane Ginsburgh (Speaking Pianist) et la pièce sonore de Mélissa Laveaux et Alice Guerlot-Kourouklis (Raw Sonata Haunted by Voices), que le public est convié à écouter dans le noir, en s’allongeant sur le sol.

En outre, la Biennale se voulant avant tout un lieu de circulation des idées et des sensations, propice au partage et à l’échange, l’une des salles du cellier est dédiée à la rencontre entre spectateurs-auditeurs et artistes – à charge pour ces derniers d’en inventer les modalités, en faisant bien sûr preuve de la plus grande diversité.

[^1] Si cette 1re édition se déroule au printemps d’une année paire, la Biennale aura lieu par la suite à l’automne des années impaires – la 2e édition étant donc annoncée pour l’automne 2017.