« Il n’y aura pas de paix sans justice »
Médecins du Monde et Première Urgence Internationale ont récemment publié un rapport sur la violence impunie des colons en Cisjordanie.
« Je ne dors plus la nuit. J’imagine que les colons sont à la fenêtre et qu’ils me regardent », raconte une femme du village de Jalud, au sud de Naplouse, à l’assistant social de Médecins du Monde, après l’attaque de Douma, un village voisin, le 31 juillet dernier où des colons israéliens ont mis le feu à deux maisons. L’une était vide, l’autre était habitée par la famille Dawabsheh. Ali, 18 mois, est brûlé vif. Les parents, gravement brûlés, sont morts de leurs blessures quelques semaines plus tard. Ne reste aujourd’hui qu’Ahmed, 4 ans, dont le corps est brûlé à 60%.
Selon le rapport de Médecins du Monde, publié lundi 23 mai, 82% des bénéficiaires du programme de soutien psychosocial de l’association à Douma affirment avoir été profondément affectés par l’attaque et risquent de développer des troubles de stress post-traumatique. « J’ai peur tout le temps et ma famille aussi, raconte Nasser Dawabsheh, le frère de Sa’ad Dawabsheh mort après l’attaque. Avant de partir pour la France ma femme m’a demandé de faire le plein de courses car elle ne veut plus que les enfants sortent de la maison ! ».
Un événement qui a traumatisé les habitants de Douma mais aussi ceux des villages alentours. « Les gens ont encore plus peur qu’avant. Dès que la nuit tombe il n’y a plus personne dans les rues, explique Dawoud Abu-Quthleh, assistant social à Douma pour Médecins du Monde, les habitants de ces villages sont aussi plus anxieux et plus stressés ». Des violences post-traumatiques qui parasitent le quotidien des Palestiniens et impactent directement la vie des familles : « Les parents sont plus irascibles et sans arrêt inquiets. Les enfants sont effrayés. Ils ont peur du noir et font pipi au lit. Sans parler des conséquences que tout ça peut avoir sur leur scolarité », précise Dawoud Abu-Quthleh.
Nasser Dawabsheh affirme lui aussi vivre en permanence dans la peur de voir mourir ceux qu’il aime: « Même quand ma femme va de la chambre à la cuisine pour se faire un café, je l’accompagne. Nos enfants dorment dans notre chambre toutes les nuits. Moi même je suis effrayé par le moindre bruit ».
Des violences invisibles
A Qusra, un village au sud de Naplouse, une autre forme de violence est à l’œuvre. Les colons ont étendu leurs constructions sur des terres palestiniennes, empêchant des fermiers d’accéder à leurs champs. « Imaginez. A côté de votre maison se trouve votre ferme, mais vous n’avez pas le droit d’y accéder. Comment vous sentiriez-vous ? », se désespère Dawoud Abu-Quthleh.
Empêcher les Palestiniens d’accéder à leurs ressources est une autre forme de violence. Le secteur le plus touché est celui de la culture de l’olivier, très importante dans les territoires occupés. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), 9 390 oliviers ont été vandalisés par les colons en 2014. « Le risque, analyse Patricia Grillo, chargée de plaidoyer pour l’ONG Première Urgence Internationale très active sur place, c’est que les habitants, à force de voir leurs propriétés constamment attaquées abandonnent leurs terres et partent ». Ces attaques permanentes empêchent aussi tout développement économique et poussent les jeunes générations à partir des villages. Une politique de la terreur qui permet, à terme, aux colons de récupérer les terres à l’abandon. Un problème que les municipalités essayent, elles aussi, de résoudre en offrant une certaine somme d’argent pour retenir ceux qui, de guerre lasse, ont décidé de partir.
Une culture de l’impunité
Selon une étude de l’organisation israélienne Yesh Din, évoquée dans le rapport, dans 84% des cas de violences commises par des colons contre des Palestiniens en 2012, les enquêtes de la police n’aboutissent à rien. « Porter plainte est un processus long et compliqué,explique Anne-Sophie Simpere chargée de plaidoyer à Jérusalem pour Médecins du Monde. Il n’est pas simple pour un Palestinien d’aller dans un bureau de police israélien. Ils ont peur des possibles représailles ».
Même quand elles sont déposées, les plaintes n’aboutissent pour la plupart à rien. Toujours selon l’étude de Yesh Din, seules 1,9% des plaintes déposées par des Palestiniens contre des attaques de colons israéliens donnent lieu à des condamnations. « Pourquoi porter plainte si ça ne mène à rien ? C’est une perte de temps pour eux », se désole Anne-Sophie Simpere.
L’incendie meurtrier de Douma a ému la communauté internationale et les Israéliens mais n’a pas changé la donne. Les suspects qui ont été arrêtés après plusieurs mois d’enquête sont actuellement en cours de jugement. Le procès devrait durer 2 ou 3 ans selon Nasser Dwabsheh qui estime qu’il existe très peu de chances que les auteurs soient condamnés : « Les suspects sont représentés par six importants avocats israéliens soutenus par le gouvernement qui lui-même soutient les colonies… Ils sont immunisés de fait ! »
Dans ce contexte, quel rôle peut jouer la conférence de paix qui s’est tenue le 3 juin à Paris ? Pour Patricia Grillo, la réponse est simple : «Il n’y aura pas de paix possible tant que les droits les plus fondamentaux des Palestiniens ne seront pas respectés».
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