Ils nous ont volé les deux Euros
Monnaie et football : deux rêves européens dévoyés.
dans l’hebdo N° 1410 Acheter ce numéro
On peut trouver sans trop d’efforts des points communs entre la monnaie unique européenne et l’Euro de foot 2016, avec son cortège de dommages collatéraux économiques, sociaux et écologiques. Dans les deux cas, il y a au départ des idées généreuses. D’un côté, une monnaie qui circule entre des peuples et qui pourrait contribuer à rapprocher les citoyens, pas seulement leurs comptes en banque ; leur faciliter la vie lorsqu’ils franchissent des frontières ; réduire à néant la spéculation sur les monnaies et donc freiner sous cet angle la guerre économique et financière. De l’autre, un ballon qui circule aussi dans le cadre d’un sport collectif pratiqué jusque dans les bidonvilles et les favelas du « tiers-monde » – un sport certes largement réservé au sexe masculin, mais ce n’est pas une fatalité. Des pièces rondes et des ballons ronds qui circulent comme supports de liens qui font du bien.
Mais, dans les faits, « ils » nous ont volé l’un et l’autre. L’euro est devenu, aux mains des néolibéraux, un outil d’asservissement, en Grèce et ailleurs. On ne spécule plus directement sur les monnaies, mais sur les dettes des États, sur leurs obligations. Les « dévaluations internes » (l’austérité salariale et l’austérité publique, qui font baisser les coûts salariaux et les prix dans l’objectif le plus souvent illusoire de rétablir de la compétitivité extérieure) ont remplacé les dévaluations externes (le jeu sur les taux de change), avec des impacts peut-être plus graves sur la durée.
Ils nous ont aussi volé le football, selon le titre d’un excellent petit livre de François Ruffin et Antoine Dumini [^1]. Et ce sont les mêmes voleurs de rêves : les financiers, l’oligarchie économique et politique. L’euro monnaie est sous leur coupe via les institutions antidémocratiques – Commission européenne et BCE, entre autres – qu’ils ont mises en place sans nous (les supporters d’une Europe des peuples, écologique et sociale). Il en va de même de l’Euro 2016 dirigé par l’UEFA et la Fifa, gangrenées par l’argent et la corruption.
Dans les deux cas, les chefs d’État et de gouvernement en remettent une couche en nous faisant croire que l’Europe de la finance, des multinationales et des accords dits de libre-échange œuvre dans notre intérêt, et que les méga-compétitions sportives, les grands stades, les clubs cotés en Bourse et les grands joueurs à plusieurs dizaines de millions d’euros sont des symboles de l’amitié entre les peuples et de « l’esprit sportif ».
En fait, ils ont de plus en plus de mal à nous vendre tout cela. Les masques tombent sur ces deux rêves européens dévoyés. Pour ce qui est du foot-fric, même les médias contrôlés par le business ne peuvent plus passer sous silence les violences répétées, la corruption à tous les étages, les avantages fiscaux exorbitants que les instances du football parviennent à obtenir de gouvernements et d’élus locaux soumis. Sans parler des pratiques « esclavagistes » de certains grands sponsors ou du Qatar, ou des dettes publiques sur tous nos merveilleux grands stades, qui vont plomber les finances des collectivités locales pendant des décennies. Et on attend le bilan carbone de l’Euro…
[^1] Comment ils nous ont volé le football, Fakir éditions, 2014.
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