La maladie mentale en terrain flou
Joris Lachaise réalise une enquête subjective sur le traitement des troubles psychiques au Sénégal. Une passionnante danse autour de la folie.
dans l’hebdo N° 1409 Acheter ce numéro
Dans une cellule aux murs blancs et nus, un patient au regard fixe, assis sur un fauteuil roulant, se fait couper les cheveux par un homme à la main gantée. Plus loin, dans une cour intérieure percée de fenêtres grillagées, une femme arbore une expression ambiguë. Entre sourire et désespoir. Par l’une des fenêtres, une main exhibe un collier et une clé.
Si l’hôpital psychiatrique national de Thiaroye s’est officiellement éloigné de son passé asilaire, les premières images de Ce qu’il reste de la folie inscrivent le lieu dans une imagerie classique de la folie. Avec enfermement et violences quasi médiévales. À une différence près, toutefois : au lieu des visages blancs qui portent d’habitude ces représentations, ceux du film de Joris Lachaise sont noirs. Nous sommes dans la banlieue de Dakar, dans la seule structure médicale sénégalaise entièrement consacrée aux troubles psychiques.
Tourné entre 2011 et 2014, après un film sur la célébration du cinquantenaire de l’Indépendance au Mali, Convention : mur noir/trous blancs (2011), Ce qu’il reste de la folie oscille entre documentaire et autofiction. Comme Les Maîtres fous (1956) de Jean Rouch, dont la pratique de l’anthropologie visuelle a beaucoup influencé Joris Lachaise.
Commencé pendant une résidence avec la compagnie de danse SB03, que le réalisateur accompagnait pour la partie vidéo, Ce qu’il reste de la folie a la subjectivité contenue dans le mouvement de caméra autant que dans les mots des différentes personnes filmées, toujours un peu tremblantes. Montré dans toute sa fragilité, le rapport entre le réalisateur, les patients de l’hôpital de Thiaroye et ceux d’autres établissements dit avec intelligence la complexité des liens entre psychiatrie et médecine traditionnelle.
Dans son exploration mi-improvisée mi-planifiée, Joris Lachaise s’arrête sur plusieurs figures, dont les apparitions servent de fil rouge au documentaire, ponctué de moments oniriques.
La première est la réalisatrice et romancière Khady Sylla, ancienne patiente de Thiaroye. Dans sa manière très posée d’évoquer sa maladie, l’artiste opère une synthèse entre les deux manières d’appréhender la folie qui cohabitent au Sénégal. Lorsqu’il s’aventure hors de l’hôpital, le réalisateur suit les pas de Fatou Kindiarra, qui, durant une cérémonie de Ndoëp, thérapeutique animiste qui utilise la force du groupe, s’apprête à passer du statut de malade à celui de guérisseuse d’âmes.
Un détour par l’hôpital de Fann, à Dakar, où le docteur Henri Collomb avait imaginé, en 1958, une fusion entre traitements rituel et psychiatrique de la maladie, permet de prendre la mesure du recul du dialogue en Afrique et en Occident. Et pas seulement en matière de troubles mentaux.