Le « trou de souris » de Mélenchon

Le candidat autodéclaré de « la France insoumise » a multiplié les explications sur ses objectifs et la démarche collective qu’il souhaite pour les porter.

Michel Soudais  • 1 juin 2016 abonné·es
Le « trou de souris » de Mélenchon
© Alain Pitton/NurPhoto/AFP

Le rendez-vous est annoncé depuis près de trois mois. Ce 5 juin, Jean-Luc Mélenchon organise le premier rassemblement public de la « France insoumise » sur le lieu même où il avait lancé la campagne présidentielle du Front de gauche, le 28 juin 2011, et l’avait terminé, au soir du premier tour. Un choix réfléchi. Il s’agit de reprendre l’ouvrage là où il s’est interrompu. Et de marquer la continuité d’une démarche quand les critiques l’accusent d’être dans une conduite personnelle. « Un faux débat », assure-t-il. Du fait des institutions, qu’il n’a pas choisies et veut remplacer par une 6e République, « il n’y a qu’un seul nom sur le bulletin de vote », rappelle-t-il. Le véritable débat est autre. Plus fondamental, explique-t-il ces derniers temps, multipliant les interventions pour la « méthode d’action globale » que propose sa candidature, et tenter de lever les résistances qu’elle soulève encore.

Mardi 24 mai, il tenait sa première conférence de presse dans ses locaux de campagne, un appartement au sixième étage d’un immeuble dans le quartier de la gare de l’Est. Autant pour faire le point sur l’« élaboration collective » du programme qu’il défendra après son adoption, lors d’une « convention de la France insoumise », en octobre, que pour annoncer les futures étapes de la construction du « mouvement des insoumis » qui accompagne sa candidature. Ce jour-là, plus de 105 000 personnes avaient appuyé son initiative sur son site de campagne (www.jlm2017.fr) et suscité la création de plus de 1 000 comités locaux baptisés « groupe d’appui ». Ce site, conçu comme une « plateforme d’action », avait aussi enregistré 2 186 « contributions citoyennes » sur le programme organisé en sept axes : 6e République ; partage des richesses ; planification écologique ; sortie des traités européens ; une France indépendante et altermondialiste pour la paix ; le progrès humain et les nouvelles frontières de l’humanité.

Les petits cailloux de Marie-George

L’ex-secrétaire nationale du PCF refuse de s’exprimer dans les médias sur l’éclatement du Front de gauche, son bébé, mais dépose de temps à autre sur Facebook quelques petits cailloux. Ainsi commente-t-elle le remaniement ministériel, au lendemain de la proposition de candidature de Mélenchon : « De quoi nous parle ce remaniement, de calculs politiciens, de dosages savants pour remercier les uns, pour attirer les autres… mais pour quelle politique… la même, alors, passons ce non-événement et poursuivons le combat pour une France insoumise et fière de l’être. » Le 17 mai, le pique-nique impromptu la fait réagir : « Manger et marcher, c’est bon pour la santé ! Nous sommes invités à un pique-nique citoyen pour fêter les 80 ans du Front populaire à Aubervilliers après le congrès de mon parti… et nous sommes invités à une marche de la France insoumise l’après-midi. Propositions : soit après le dessert on va marcher, soit ceux et celles qui marchent viennent goûter à Aubervilliers. Cela serait sympa en effet de se retrouver. »

L’objectif est d’actualiser le programme de 2012, « L’Humain d’abord ! », en l’enrichissant des réflexions issues des Assises de l’écosocialisme, du Sommet internationaliste pour un plan B en Europe, des Assises de la mer, ou du cahier de La Revue de défense nationale : « Pour un nouvel indépendantisme français », publié en début d’année. Une vingtaine de rapporteurs, d’une moyenne d’âge de 30 ans, s’attachent à lire, trier et intégrer ces contributions dans un texte complet qui sera présenté en octobre pour adoption, lors d’une « Convention de la France insoumise ». Ils procèdent également à des auditions d’experts et d’intervenants reconnus pour leurs compétences sur un sujet particulier. « C’est un processus de construction collective qui met au cœur la question du fond », a expliqué Charlotte Girard, maître de conférences en droit public à Paris X-Nanterre et coordinatrice du programme avec l’économiste Jacques Généreux. « Ce programme est principalement élaboré à travers ces sources qui mobilisent à la fois des citoyens mais aussi des intellectuels, des chercheurs et des professionnels qui ne sont pas des professionnels de la politique, pour lesquels il n’y a aucune espèce d’enjeu de poste ou de place », a renchéri Jacques Généreux.

Mercredi 25 mai, le candidat faisait la une des Inrockuptibles avec un entretien fleuve dans lequel il expose à nouveau son « plan de bataille ». Interrogé sur l’éclatement de la gauche, il en renvoie la responsabilité à Pierre Laurent : « Quand la proposition de primaire a surgi, lui et d’autres ont choisi d’y participer, sans demander l’avis de personne. À partir de là, la rupture a été consommée, par leur choix en solo. » Une réponse du berger à la bergère. Justifiant sa décision d’entrer en campagne plus d’un an avant le scrutin : « Quand vous venez parler de la planification écologique ou de changer la matrice productive du pays, il faut du temps pour expliquer et convaincre. » « L’écologie, ce n’est pas un chapitre de mon programme, c’est sa trame », assure-t-il à destination des écologistes qui en doutent encore. Il analyse assez longuement la situation politique créée par le « réchauffement du climat social » et la multiplication des foyers de colères, « un instant magique de la vie du pays » qui le convainc que « la révolution citoyenne a déjà commencé en France avec les mouvements sociaux en cours et le phénomène Nuit debout. Elle peut faire des pauses. Mais elle ne s’arrêtera plus. » Et l’amène à penser que 2017 pourrait être « la bonne ». « Nous faisons une campagne pour gagner cette fois-ci », déclarait-il la veille lors de sa conférence de presse.

Jeudi 26 mai, après une rapide apparition sur le parcours de la manifestation parisienne contre le projet de loi travail, Jean-Luc Mélenchon, cravate rouge de rigueur, était l’invité de David Pujadas pour la dernière de l’émission « Des paroles et des actes ». Initialement prévue le 23 mars, elle avait été reportée suite aux attentats de Bruxelles. Malgré ce report de programmation, le candidat affirme qu’« à 48 heures de l’émission, ni les intervenants ni les thèmes n’étaient fixés ni stabilisés ». Il s’était même interrogé publiquement sur le maintien de sa participation à cette émission « conçue comme une corrida où l’invité fait office de taureau promis au sacrifice ». Après deux heures de chausse-trappes et manipulation en tous genres, le traditionnel sondage réalisé au cours de l’émission rendait son verdict : l’invité était passé de 37 à 45 % de « bonne opinion ».

Deux jours plus tard, alors qu’il se rend à l’invitation de Liem Hoang-Ngoc, animateur de la Nouvelle gauche socialiste, à une rencontre avec des socialistes qui pour la plupart ont quitté le PS après le congrès de Poitiers, Jean-Luc Mélenchon refait, satisfait, le récit de cette émission suivie par 2,3 millions de téléspectateurs. « Sans donner à cet événement médiatique une importance qu’il n’a pas, je pense que ça a été un bon moment pour nous », conclut-il, non sans assumer « la conflictualité » de ses échanges en plateau qui « n’est pas un inconvénient » mais « la manière d’ouvrir les esprits ».

Aux 70 invités, il présente à nouveau sa démarche dans laquelle le programme, la stratégie et enfin l’organisation qui porte l’un et l’autre sont indissociables. Insiste sur cette dernière, « en cours de constitution ». Il justifie par le dépassement de « l’ancienne forme du parti » le recours à une plateforme collaborative sur Internet : « D’entrée de jeu, ça a donné un réseau supérieur à de nombreux partis politiques. » Ses partenaires ne partageant pas cette conception, il assume d’avoir « tranché le nœud gordien ». Mais assure ses auditeurs qu’ils y sont les bienvenus, « hors cadre de parti » ne signifiant pas « anti-partis » : « Nous construisons une force consciente, pas des groupies. La place que vous devez prendre, c’est celle que vous décidez de prendre. À la fin, vous déciderez si vous voulez que ce soit une force politique. » Pour avoir une chance de gagner l’an prochain, explique-t-il, il faut « trouver deux millions de voix de plus » que les quatre millions engrangées en 2012. « C’est un trou de souris, pas une avenue ! »

Le 31 mai, une autre rencontre était prévue. Cette fois avec des jeunes communistes. Dans les rangs du PCF, le refus de la direction d’envisager une nouvelle candidature Mélenchon ne fait pas l’unanimité. Il a même provoqué une démission au sein de son comité exécutif. Fin janvier, avant donc que l’eurodéputé ne « propose » sa candidature, Francis Parny claquait la porte de cette instance en reprochant à ses camarades de tourner le dos au Front de gauche, dont il avait été l’un des principaux artisans auprès de Marie-George Buffet. Par la suite, cet ancien élu régional hostile au « piège » des primaires a lancé une pétition appelant les communistes à soutenir Mélenchon, elle a recueilli à ce jour près de 1 900 signatures. Une trentaine de militants d’Ensemble ! ont initié, fin mars, une démarche similaire, sans attendre la décision de leur assemblée générale, convoquée les 11 et 12 juin à Montreuil.

D’ici là, Jean-Luc Mélenchon espère bien faire la démonstration le 5 juin qu’il est possible de rassembler sept à huit mille personnes, « même sans la présence d’appareillons bavards ».

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