Podemos face à son destin

Le parti de Pablo Iglesias rassemble ses troupes dans l’espoir de dépasser les socialistes lors des élections du 26 juin. Une stratégie qui repose sur un difficile équilibre interne.

Laura Guien  • 8 juin 2016 abonné·es
Podemos face à son destin
© Marcos del Mazo/citizenside/AFP

L’Espagne est donc sans gouvernement depuis les élections de décembre dernier. Après la valse des rencontres et des négociations, plus ou moins sincères, et en l’absence d’un pacte de gouvernement crédible, les partis espagnols s’apprêtent à affronter de nouvelles élections générales le 26 juin. Podemos repart donc à l’assaut des urnes.

Après l’échec de son rapprochement avec les socialistes du PSOE, bloqué en grande partie par l’accord de ces derniers avec les centristes de Ciudadanos et le désaccord sur le référendum catalan, le parti de Pablo -Iglesias a finalement annoncé son alliance avec la gauche radicale d’Izquierda Unida (IU) pour ce scrutin de la seconde chance. Sous le titre éloquent d’« Unidos Podemos » (Unis, on peut), la coalition rassemble également les confluences régionales de Podemos en Catalogne, en Galice et dans la région de Valence, et abandonne définitivement la transversalité idéologique qui fut un temps le moteur de la « machine de guerre électorale » d’Iglesias.

Mais, si la synergie actuelle est au rassemblement des forces à gauche, l’abandon des négociations avec le PSOE n’aura pas été sans générer un vif débat interne, ni créer quelques victimes collatérales. La plus emblématique d’entre elles : Sergio Pascual, numéro 3 du parti, congédié par Iglesias lui-même en mars dernier à la suite de la démission concertée de dix conseillers Podemos de l’antenne madrilène. Des épisodes mouvementés à percevoir comme les aspérités finalement émergentes de courants cohabitant au sein de la formation.

« Quand Podemos apparaît en 2014, il possède déjà deux âmes : une qui dit exister pour prendre le pouvoir le plus vite possible et une autre qui veut consolider une stratégie de parti dans le paysage politique », analyse la politologue Marta Romero. Cette âme bicéphale s’incarne dans les personnes de Pablo -Iglesias, secrétaire général du parti, et de son numéro 2, Iñigo Errejón, secrétaire politique de Podemos. Deux piliers de la formation qui portent un regard également différent sur l’organisation de ses structures internes, ainsi que le résume Pablo Simón, politologue et spécialiste des systèmes de partis : « Le dilemme se pose entre la posture d’Errejón, qui va dans le sens d’un parti “mouvement” plus populaire et transversal, et celle d’Iglesias, qui souhaite convertir -Podemos en quelque chose de plus institutionnel. »

Ces divergences de formes se sont particulièrement cristallisées lors des négociations avec les socialistes. Après les élections de décembre, -Podemos se retrouve face à un choix : soutenir indirectement le PSOE par son abstention lors du vote d’investiture de Pedro Sánchez, ou refuser son appui aux socialistes qui ont conclu un pacte de gouvernement avec les centristes de Ciudadanos. Cette dernière option, finalement préférée par Iglesias, n’est pourtant pas motivée par une différence profonde de programme entre le PSOE et Podemos. Ainsi, avant le vote d’investiture du candidat socialiste en mars dernier, un préaccord de 22 points est proposé par Izquierda Unida au PSOE. « À ce moment-là, 18 de ces 22 points étaient quasiment négociés. Or IU a un -programme très proche de celui de Podemos. Les divergences de fond concernaient le fait de s’appuyer ou non sur les nationalistes pour gouverner et sur la distribution des portefeuilles ministériels », détaille Pablo Simón.

En réalité, le blocage de l’accord avec le PSOE renvoie directement aux fractures internes de Podemos. Si les différents courants du parti s’accordent sur l’idée que son unique destin est de dépasser les socialistes, des divergences persistent sur la stratégie à adopter pour réaliser ce « sorpaso », véritable serpent de mer de la formation. Ainsi, bien qu’Iñigo Errejón ne se soit pas exprimé explicitement sur le sujet, ce dernier et son entourage étaient plus favorables à laisser gouverner le PSOE. « Une frange du parti préférait aller à de nouvelles élections en cumulant des forces, l’autre estimait qu’il était préférable de s’abstenir et de permettre au PSOE d’accéder au pouvoir pour le contrer depuis l’opposition », poursuit Pablo Simón.

Une stratégie qualifiée de « solide » par Marta Romero : « Si Podemos avait opté pour cette solution, il serait devenu “le” grand parti d’opposition de gauche en Espagne, car il aurait, par responsabilité politique, permis d’installer un gouvernement, qui plus est teinté à droite de par son alliance avec Ciudadanos. »

Jaime Pastor est l’un des fondateurs historiques de Podemos. Passé par IU, il est également à l’origine de la formation marxiste Izquierda Anticapitalista, devenue l’association Anticapitalistas pour intégrer Podemos. Il explique : « Derrière ce débat interne, il y a deux sensibilités différentes : celle d’Errejón, plus populiste, plus transversale, plus réticente aussi à l’accord avec IU, et celle de Pablo -Iglesias, qui se situe plus dans une récupération de ses liens avec le courant provenant de la jeunesse communiste. »

Une inclination qui sied à Podemos pour l’instant. Les derniers sondages émis par El Mundo et El País, une semaine avant le début de la campagne, situent la coalition Unidos Podemos comme seconde force politique avec respectivement 23,7 % et 25,6 % des voix, devant les 20,2 % et 20,3 % du PSOE. Le « sorpaso », enfin ?

Pour Lluís Orriols, politologue et spécialiste du comportement électoral, « si Podemos réussit à transmettre cette synergie à l’opinion publique, cela peut générer un effet multiplicateur. Il pourrait se convertir en point focal de la gauche ». Mais le pari est à double tranchant. Pour Marta Romero, « Podemos joue maintenant le tout pour le tout. Si le “sorpaso” n’arrive pas, il va y avoir des crises importantes dans la formation ». Des conflits qui pourraient ne pas se limiter aux frontières originelles du parti mais toucher l’ensemble de Podemos Unidos. Car, avec cette coalition très plurielle, Podemos a conclu des accords avec des partis régionaux qui ont une base territoriale très claire. « Leurs agendas sont différents. Le niveau qui prime, pour eux, est régional, non national. De plus, ils ont leur propre système de primaires, qui peut également déclencher des changements qui ne soient pas affiliés à la direction », rappelle Pablo Simón.

De son côté, Jaime Pastor confirme que la question territoriale, et notamment catalane, fera partie des prochains débats internes de la formation. « Rhétoriquement, il y a un accord sur le référendum. Le problème, c’est que Podemos atténue dans une certaine mesure son appui au référendum en étant clair sur le fait qu’il est contre l’indépendance. Nous verrons ce qu’en pense la coalition Podemos en Catalogne… »

Reste que ces débats à venir sont pour l’instant « gelés » par les logiques électorales et que le pacte actuel avec IU pourrait être vécu comme un retour aux origines de la formation. Un avis auquel s’oppose Jaime Pastor. « Cela démontre seulement que cette idée de machine de guerre électorale est parvenue à ses limites. Disons que, maintenant, on s’oriente plus vers le 15M que vers une ambiguïté programmatique calculée. » Un clin d’œil prudent au sacro-saint mouvement, comme le souligne Marta Romero : « Podemos, IU et les partis en général font très attention avec le 15M. Ils savent que, si un mouvement politique tente de s’accaparer l’esprit des Indignés, cela peut se retourner contre lui. » Idem pour la nouvelle stratégie de Podemos. Sur le long terme, elle pourrait se révéler tout aussi glissante.

Monde
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