Podemos victime du Brexit ?
La coalition plurielle de Pablo Iglesias n’a pas réussi à se positionner comme première force à gauche, laissant la victoire à la droite. Pourquoi cet échec ? Et quel avenir pour le parti ?
dans l’hebdo N° 1410 Acheter ce numéro
Ce devait être le « sorpasso » (le dépassement), ça a été la douche froide. Après le centre libéral de Ciudadanos en décembre dernier, Unidos -Podemos vient de connaître à son tour la malédiction des sondages lors du second scrutin des élections générales espagnoles de dimanche. Estimée deuxième force nationale et première à gauche dans toutes les enquêtes des semaines précédant le vote, la grande coalition -de Pablo -Iglesias, qui se présentait main dans la main avec la formation écolo–communiste -d’Izquierda Unida, a échoué à dépasser les socialistes du PSOE. Jusqu’aux dernières minutes, avec le sondage de sortie des urnes de TV3 confirmant l’avance -d’Unidos Podemos, les enquêtes auront maintenu Iglesias et sa formation dans l’illusion. Celle-ci s’est dissipée dès le début du dépouillement : l’écart entre le PSOE et Unidos Podemos est important, en faveur des socialistes de Pedro Sánchez.
Finalement, et avec le plus mauvais score de sa trajectoire politique, le PSOE remporte 22,66 % des voix et 85 députés, contre 90 en décembre. Amputé de 1,2 million de votes par rapport au précédent scrutin, Unidos -Podemos suit de près en nombre de voix (21,1 %) mais ne réussit à obtenir que 71 députés. L’alliance de Podemos avec Izquierda Unida n’aura rapporté que deux sièges de plus, et moins de votes que lorsqu’ils concouraient séparément. Le pari d’Iglesias échoue donc contre toute attente, excepté en Catalogne, où la coalition En Comú Podem remporte de nouveau la Région. « Nous nous attendions à des résultats différents, c’est le moment de réfléchir », concédera rapidement Iglesias durant la soirée électorale, le visage grave, aux côtés d’un Iñigo Errejón atterré. Celui-ci, numéro 2 de Podemos, était en effet opposé à l’alliance avec les communistes -d’Izquierda Unida.
Comment expliquer un tel décalage avec les sondages ? Peut-on voir dans ces erreurs de prédiction les effets du Brexit ? Il n’est pas impossible que le résultat du référendum britannique ait suscité un mouvement de repli. Comme s’il ne fallait pas ajouter un élément d’incertitude à la situation. Ce n’est pas l’avis de la politologue Marta Romero : « Les sondages en faveur d’Unidos Podemos ont probablement influencé les résultats en activant deux leviers : le vote utile du Partido popular, qui a concentré le vote à droite, et le vote de sauvetage du PS pour éviter que Podemos soit la seconde force. La polarisation du scrutin devait avantager Unidos Podemos, mais, en réalité, elle a été bénéfique au PP. La droite est maintenant plus forte et légitime pour gouverner. »
C’est en effet le second camouflet infligé par ce scrutin à la formation d’Iglesias. En plus d’avoir échoué à dépasser le PSOE, la voilà désormais confrontée à la victoire de son adversaire absolu, la droite conservatrice du PP, qui, avec 33 % des voix et 137 députés, obtient de meilleurs résultats qu’en décembre. Aucun des nombreux scandales de corruption du parti de Mariano Rajoy n’aura ainsi réussi à entacher les scores du PP. Ce dernier -réussit même à augmenter ses appuis, y compris dans des circonscriptions frappées par les plus scandaleuses de ces affaires. À en juger par son discours pour le moins vide et incohérent le soir du scrutin, Mariano Rajoy lui-même ne semblait pas s’attendre à de si bons résultats. Mais le -Premier ministre sortant a saisi la balle au bond et, fort de ses 14 députés supplémentaires, a revendiqué le droit à l’investiture pour son parti.
Pour gouverner, le Partido popular dispose de trois options principales. La plus confortable : obtenir la majorité absolue en pactisant avec les socialistes pour une grande coalition. La seconde, en majorité simple, serait d’obtenir l’abstention des socialistes face à son alliance avec le centre libéral de Ciudadanos. Enfin, hypothèse la plus probable, en concentrant les forces de PNV (nationalistes basques), Coalition canarienne (nationalistes de centre-droit) et Ciudadanos, le parti de Rajoy resterait à un siège de la majorité absolue, qu’il pourrait obtenir avec l’abstention d’un seul député. Face à ce nouvel échiquier de plus en plus complexe, le PSOE tient dans ses mains le futur des échanges. S’il a adoubé la décision du PP de se présenter à l’investiture, le parti a aussi précisé, par la voix de son porte-parole, « ne pas appuyer Rajoy, ni par action ni par omission ».
Face aux appels du pied de la droite, les socialistes ont déclaré avoir « d’autres options ». Quelles sont-elles ? Et quel rôle Podemos pourra-t-il y jouer ? Deux pactes sont arithmétiquement possibles : tout d’abord, une grande alliance entre PSOE, Ciudadanos et Unidos Podemos, qui obtiendrait la majorité absolue. Mais celle-ci a déjà été rejetée par Iglesias à la suite du scrutin de décembre. Autre solution : une coalition des forces nationalistes basque, canarienne et catalane, cette dernière indépendantiste, autour des candidatures d’Unidos Podemos et du PSOE. Une hypothèse tout aussi hasardeuse par rapport aux crispations du PSOE sur les thèmes du référendum en Catalogne. « Cela paraît peu viable politiquement », avertit Marta Romero. De plus, les relations entre les socialistes et Unidos Podemos se sont largement dégradées dans les échecs des négociations. Pedro Sánchez, après l’annonce des résultats, n’a pas hésité à présenter Unidos Podemos comme le grand coupable de la victoire de la droite.
Ainsi, la possibilité d’un pacte à gauche reste fragile, notamment en raison de la position inconfortable des socialistes espagnols. « Le dilemme pour le PSOE se présentera si le PP obtient ce pacte avec Ciudadanos et les nationalistes basques et canariens. Demander à retourner aux urnes alors que le PP se situe à un seul siège de la majorité sera très difficile à justifier pour le PSOE. Le parti va subir d’énormes pressions. » La position actuelle de Podemos ne lui est en rien enviable. Avec presque les mêmes résultats que lors du précédent scrutin, mais ayant depuis subi une cuisante défaite idéologique, le parti d’Iglesias, déjà divisé en interne, se trouve face à la plus grande crise qu’il ait eue à traverser.