Une indécence repue d’elle-même
Outrant encore l’outrance gattazique, Giesbert assimile la CGT à l’État islamique.
dans l’hebdo N° 1407 Acheter ce numéro
L’autre jour, M. Gattaz, Pierre, big boss du Medef, a, comme tu sais sans doute, tranquillement déclaré à des journalistes du Monde que les militant(e) s de la CGT engagé(e)s contre la loi El Khomri se comportaient comme des « terroristes ».
La presse dominante s’est-elle immédiatement (et unanimement) scandalisée de l’âpreté du propos, comme elle avait fait par exemple, quelques semaines plus tôt, quand le publiciste Alain Finkielkraut s’était fait traiter de « fasciste » par des Nuit-deboutistes qu’insupportait sa proximité ?
Absolument pas.
Quand l’un des siens se fait houspiller en des termes un peu vifs, l’éditocratie fait bloc et vole à son secours en formation de manœuvre offensive, à la fin de passer au savon les bouches des contrevenant(e)s. Mais lorsqu’un membre de la famille – ici, donc, Pierre Gattaz – se laisse aller à des amalgames infamants, elle ne s’en offusque pas du tout, pour la simple et bonne raison qu’elle les bisse très volontiers.
Ainsi, dans le même temps que le padrone dei padroni crachait dans Le Monde sa comparaison dégoûtante, Franz-Olivier Giesbert, éditorialiste chez Le Point, écrivait quant à lui ces mots – qui valent d’être un peu longuement cités, pour ce qu’ils montrent de l’obscénité hallucinée où se vautrent désormais certains forgerons de l’opinion : « Même si la comparaison peut paraître scabreuse, est-il si illégitime d’oser la formuler ? La France est soumise aujourd’hui à deux menaces qui, pour être différentes, n’en mettent pas moins en péril son intégrité : Daech et la CGT. »
Je reprends, pendant que tu frottes vigoureusement tes yeux : l’individu, outrant d’un niveau encore l’outrance gattazique, assimile à l’État islamique (EI) la centrale syndicale qui a le front de lutter contre la casse du droit du travail. (Et il ne manque bien sûr pas cette occasion de se poser en courageux iconoclaste qui ose poser une question « scabreuse » – alors même qu’il ne fait donc que dupliquer, en l’exagérant, le discours du patron du Medef.)
Puis il précise (tout de même) : « Certes, la CGT, bien que jusqu’au-boutiste [^1]_, n’est pas une organisation terroriste. Pour l’heure, elle se contente de molester les DRH. »_ (Mais « pour l’heure » seulement : rien n’indique donc formellement qu’elle n’en viendra pas un jour prochain à de pires brutalités.) Puis il moque Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, « avec son air de beauf qui aurait pu servir de modèle à la célèbre BD de Cabu ».
Et l’on pourrait évidemment traiter par la gausserie l’exhibition, repue d’elle-même, de tant de haine et de mépris (de classe). Mais il faudrait pour cela oublier, comme a fait là ce triste Giesbert, qu’il y a moins d’un an que de véritables terroristes de l’EI ont assassiné 130 personnes à Paris. Il faudrait en somme être, comme ce pathétique personnage, tout(e) disposé(e) à répudier, le cas échéant, jusqu’à l’idée même de la décence, pour s’abaisser jusqu’aux étiages – tout près du sol – où il trouve ses commentaires : non merci, sans façon.
[^1] Puisqu’elle ne se rend pas sans résister aux « raisons » du patronat et de son gouvernement d’accompagnement.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.