Ventes d’armes : Des parlementaires très indulgents

Députés et sénateurs s’accommodent encore trop de l’opacité organisée qui entoure les ventes d’armes françaises.

Sébastien Fontenelle  • 29 juin 2016 abonné·es
Ventes d’armes : Des parlementaires très indulgents
© Photo : SALEH AL-OBEIDI/AFP.

Depuis l’an 2000, le ministère de la Défense adresse chaque année au -Parlement un rapport sur les exportations d’armement de la France. Le dernier en date, qui porte sur les transferts effectués en 2015, a été publié le 1er juin dernier [^1]. On y trouve, en guise d’introduction, des cocoricos du ministre socialiste Jean-Yves Le Drian, qui se gargarise des « succès historiques […] des exportations de défense », fruit d’un « effort » soutenu, dont « la première vente du Rafale » – à l’Égypte et au Qatar – « restera comme un symbole ». Mais il ne dit « pas un mot », comme le relève l’Observatoire des armements (ODA), de « l’impact des armes vendues » ni des « populations qui en subissent les effets, notamment au Yémen, où les civils sont sous le feu des chars Leclerc et des Mirage 2000 que la France », déjà compétitive, « a vendus respectivement aux Émirats arabes unis et au Qatar les années précédentes ».

Surtout, ce mince document est d’une remarquable opacité. Ce n’est pas nouveau : il y a fort longtemps que ces rapports, dont la publication avait pourtant été présentée comme un gage de « transparence », ne sont plus, estime l’ODA [^2], que des « dépliants à la gloire de l’industrie de l’armement et de ses performances ». Par exemple, il n’y « est fait nulle part mention des caractéristiques et des quantités de matériel correspondant aux contrats » mentionnés : il est donc – et ce n’est sans doute pas un hasard – « très difficile d’opérer une quelconque vérification ». Cette année encore, « seules des données financières sont mentionnées, rien sur le type de matériel exporté. Ce qui ne permet pas de vérifier la conformité des armes vendues avec le respect des engagements pris par la France tant au niveau européen qu’international ».

Les parlementaires français s’émeuvent-ils de cette désinvolture ? Peu. Le 31 mai dernier, l’ambassadeur d’Égypte a été reçu à huis clos par la commission de la Défense de l’Assemblée nationale : il a probablement été question de contrats en cours, mais rien n’a filtré de ces échanges. « Dans le contexte actuel, c’est problématique, remarque Aymeric Elluin, d’Amnesty International France. Mais cela montre que les députés sont, à de très rares exceptions près, acquis à la “discrétion” : en tant qu’institution, la commission de la Défense est complètement fermée à la transparence. » Récemment, ses membres ont auditionné des marchands d’armes. L’un d’eux a posément expliqué que le char Leclerc, fleuron de l’industrie française de l’armement, avait « fait forte impression au Yémen », où la guerre menée par l’Arabie saoudite et ses alliés provoque de terribles ravages : personne, dans son auditoire, n’a été interpellé par cette déclaration.

Quant au Sénat, il bloque depuis des mois un projet de loi relatif aux violations des embargos sur les ventes d’armes, devenu, selon l’ODA, « trop restrictif à ses yeux, suite aux amendements proposés par des députés le 28 janvier dernier ». Mais il est vrai aussi que la philosophie commerciale des sénateurs ne les porte guère à regimber : l’un d’eux, socialiste, interpellé par l’Observatoire, a répondu par écrit que « les négociations relatives aux exportations » d’armement « sont un art délicat et difficile », et qu’il n’est « pas nécessairement de bonne politique de multiplier les acteurs concernés ». Puis de concéder : « Toutefois, l’information du Parlement, l’implication concrète et le rôle des parlementaires pourraient utilement et plus régulièrement être mobilisés. » Chiche ?

[^1] www.defense.gouv.fr/actualites/articles/rapport-au-parlement-sur-les-exportations-d-armement-2016

[^2] www.obsarm.org

Monde
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

« Pour Trump, les États-Unis sont souverains car puissants et non du fait du droit international »
Vidéo 17 janvier 2025

« Pour Trump, les États-Unis sont souverains car puissants et non du fait du droit international »

Alors que Donald Trump deviendra le 47e président des Etats-Unis le 20 janvier, Bertrand Badie, politiste spécialiste des relations internationales, est l’invité de « La Midinale » pour nous parler des ruptures et des continuités inquiétantes que cela pourrait impliquer pour le monde.
Par Pablo Pillaud-Vivien
Avec Donald Trump, les perspectives enterrées d’un État social
Récit 17 janvier 2025 abonné·es

Avec Donald Trump, les perspectives enterrées d’un État social

Donald Trump a promis de couper dans les dépenses publiques, voire de supprimer certains ministères. Les conséquences se feront surtout ressentir chez les plus précaires.
Par Edward Maille
Trump : vers une démondialisation agressive et dangereuse
Analyse 17 janvier 2025

Trump : vers une démondialisation agressive et dangereuse

Les règles économiques et commerciales de la mondialisation ayant dominé les 50 dernières années ont déjà été fortement mises en cause. Mais l’investiture de Donald Trump va marquer une nouvelle étape. Les échanges économiques s’annoncent chaotiques, agressifs et l’objet ultime de la politique.
Par Louis Mollier-Sabet
À Hroza, en Ukraine, les survivants tentent de se reconstruire
Reportage 15 janvier 2025 abonné·es

À Hroza, en Ukraine, les survivants tentent de se reconstruire

Que reste-t-il quand un missile fauche 59 personnes d’un petit village réunies pour l’enterrement d’un soldat ? À Hroza, dans l’est de l’Ukraine, les survivants et les proches des victimes tentent de gérer le traumatisme du 5 octobre 2023.
Par Pauline Migevant