Au Maghreb, places de la résistance

D’abord lieux de domination coloniale, les places publiques sont devenues des symboles des régimes autoritaires, avant le retour du peuple en 2011.

Pauline Graulle  • 20 juillet 2016 abonné·es
Au Maghreb, places de la résistance
© Photo : Asmaa Gamal / NurPhoto.

Un espace immense sans un millimètre de libre. En ce 25 janvier 2011, le monde découvre la place Tahrir vue d’en haut. Le régime vient d’interdire une manifestation. Erreur : grâce aux réseaux sociaux, qui propagent le message, 15 000 Égyptiens envahissent la place. Ils ne la quitteront pas jusqu’à la démission de Moubarak, le 22 février, au son de « Tahrir a fait chuter le tyran ! ».

Tien’anmen, Tahrir, Bastille, Maïdan, place Rouge ou place Venceslas – sur laquelle un étudiant s’immola lors du Printemps de Prague… L’histoire révolutionnaire ne serait pas la même sans les places publiques. -Dernières en date, les révolutions arabes ont fait de « la place centrale de la capitale égyptienne, ‘‘Midan Tahrir’’, et [de] celle de la Kasbah à Tunis […] les symboles de la réappropriation par les peuples eux-mêmes de l’espace public », analyse l’historien Pierre Vermeren [^1].

Ironie de l’histoire : ces places symboles de la libération des peuples n’auraient jamais vu le jour sans la colonisation. L’importation de la place « à la française » a pour première fonction de matérialiser l’appropriation coloniale du pays. Mais l’entreprise sera vite travestie. Le 13 mai 1958 à Alger, la grande manifestation sur la place du Gouvernement-Général marque ainsi une étape essentielle dans la conquête de l’indépendance. Après la guerre, la place de la France, à Tunis, devient la place de la Victoire . Quant à la place Ismaëliya, elle devient place Tahrir (littéralement, « libération ») en 1952, quand chute la monarchie.

Le « lieu de domination coloniale » devient alors le « lieu de l’appropriation populaire au service d’un chef ». Sous haute surveillance des régimes autoritaires, les places du Maghreb ont un usage purement touristique. Avant 2011 et le retour du peuple sur cette place Tahrir, acteur à part entière « qui vit, qui dort, qui danse, qui rampe, qui crie », écrit Vermeren. Après la révolution, Tahrir, d’ordinaire sale et chaotique, sera nettoyée au balai par des familles, militants et amis. Parce qu’on prend soin de ce qu’on aime. Et qu’il faut bien laisser la place aux suivants.

[^1] « Les Places publiques dans l’espace politique en Afrique du Nord », Espace public et construction du politique, Presse des Mines, 2015.

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