Brexit : un jeu de dupes !
Il est probable que le verdict du référendum ne sera pas respecté.
dans l’hebdo N° 1412 Acheter ce numéro
Le vote du peuple britannique en faveur d’une sortie de l’Union européenne va accélérer le processus d’effondrement de l’édifice européen. Ce vote montre également l’impasse dans laquelle se trouvent les partisans duBrexitcomme ceux du « Remain ».
La débandade a été spectaculaire dans le camp des vainqueurs, dont les deux champions – Boris Johnson et Nigel Farage – ont démissionné, n’ayant aucune stratégie pour mener à bien ceBrexit. Cette impuissance des leaders du camp des pro-Brexit provient de ce qu’ils défendent des intérêts opposés. D’un côté, les ultralibéraux comme Boris Johnson, pour qui l’UE est une bureaucratie insupportable et l’immigration souhaitable pour peser sur les salaires. De l’autre, la grande masse des populations déshéritées du nord de l’Angleterre, victime des politiques néolibérales, dont l’Ukip xénophobe de Nigel Farage se prétend le défenseur, et dont le mot d’ordre « take back control » est un appel à la protection de l’État que Bruxelles empêche.
Le vote du 23 juin est doublement paradoxal. Premier paradoxe : le Royaume-Uni s’apprête à quitter un édifice européen dont il a largement inspiré la conception. Deux axes majeurs de la construction européenne découlent en effet directement de la vision britannique : le marché unique et l’élargissement de l’espace européen à 28 pays, au détriment des politiques publiques communes. Second paradoxe : les électeurs britanniques ont exprimé le rejet de la construction européenne, alors que le Royaume-Uni n’appartient ni à l’espace Schengen ni à la zone euro, et que les politiques européennes n’ont qu’un rôle secondaire dans les maux du peuple britannique. Le Royaume-Uni est en effet resté relativement hermétique à la crise des réfugiés, protégé par son insularité et son statut particulier, hors Schengen. Par ailleurs, le gouvernement Cameron a mené une politique d’austérité très dure alors même que le Royaume-Uni ne subit pas les contraintes de la zone euro.
En fait, il est probable que le verdict du référendum britannique ne sera pas respecté, comme ce fut le cas des référendums français de 2005 et grec de 2015. Il y a deux raisons à cela. En premier lieu, la majorité des élites économiques et financières britanniques et européennes ne veulent pas renoncer aux bénéfices qu’elles tirent du libre-échange. Elles feront tout pour minimiser la portée du vote du 23 juin. En second lieu, l’échec des référendums provient de ce que les États européens sont dans l’impossibilité de jouer la triple partition de la démocratie, de la souveraineté et de l’intégration économique, conformément au fameux trilemme de l’économiste américain Dani Rodrik [^1]. Que l’on soit « Brexit » ou « Remain », britannique, grec ou français, ce conflit demeure irrésolu. En l’état actuel des traités, les pays sont condamnés à des compromis imparfaits et instables. Sortir de ce trilemme implique de refonder la construction européenne sur de nouvelles bases. Deuxième conclusion : l’épisode du Brexit montre que sortir de la construction européenne sans projet politique post-UE conduit à une impasse.
[^1] Voir « Capitalisme et finance mondialisés : peut-on les réguler ? », Dominique Plihon, Cahiers français n° 347, La Documentation française, 2008.
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