Christian Rouaud : « Au Larzac, on s’affrontait sur l’intérêt public »
Le cinéaste Christian Rouaud, auteur de Tous au Larzac !, rappelle quelles étaient les caractéristiques de la lutte sur le plateau, quarante ans avant Notre-Dame-des-Landes.
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Auteur de Tous au Larzac ! (César du documentaire en 2012), Christian Rouaud est très au fait de l’histoire que porte le plateau et continue à entretenir des liens avec les acteurs de la lutte qui s’y est déroulée il y a quarante ans. À ce titre, nous lui avons demandé de se livrer à une analyse comparative avec ce qui se passe aujourd’hui à Notre-Dame-des-Landes.
Quelles sont les idées générées par la lutte sur le plateau du Larzac qui se sont réalisées et perdurent, quarante ans après ?
Christian Rouaud : La principale originalité du Larzac, à mes yeux, c’est la gestion collective des terres. Cette question s’est posée immédiatement après la victoire : que fait-on des terrains achetés par les paysans pendant la lutte, et surtout de ceux achetés par l’armée, qui de fait appartiennent à l’État ? Les -Larzaciens ont obtenu, après de longues négociations, que ces derniers leur soient loués, à charge pour eux d’en assurer l’utilisation. C’est donc la Société civile des terres du Larzac (qui représente la population du plateau, et pas seulement les paysans) qui décide qui s’installe sur les fermes du Larzac, et pour quoi faire. Du coup, au lieu d’agrandir les exploitations à chaque départ dans une logique productiviste, comme on le fait partout, ils ont favorisé de jeunes paysans engagés dans les nouvelles formes d’agriculture : le bio, les circuits courts, etc. Résultat : pas d’exode rural sur le Larzac, il y a davantage de fermes en activité que pendant la lutte, la population a augmenté, et on va y ouvrir un collège.
À Notre-Dame-des-Landes, des agriculteurs côtoient des gens qui ont d’autres projets – sur une nouvelle forme d’habitat, par exemple. Une telle cohabitation existait-elle sur le Larzac ?
Pas pendant la lutte, parce que ceux qui s’y sont installés pour occuper le terrain, les zadistes de l’époque, comme José Bové ou Christian Roqueirol, avaient tous le projet d’y être éleveurs. La diversification est venue après.
Sur le plan agricole, c’en est fini aujourd’hui de la monoculture du mouton pour le roquefort. On y trouve aussi des bovins, des chèvres, du maraîchage, de l’apiculture, du pastis local, du whisky… Et puis sont venus s’y installer des artisans, des artistes, des amoureux du lieu et de son esprit – n’oublions pas que c’est du Larzac que sont partis la lutte contre la malbouffe après le démontage du McDo de Millau puis les faucheurs volontaires d’OGM, et que ceux-ci ont été parmi les premiers à dire non au gaz de schiste. Cela peut donner envie !
Des gens se sont installés dans des yourtes, d’autres ont investi des fermes pour en faire des lieux culturels, il y a une radio, une fanfare… Le Larzac vit de cette diversité, avec ses conflits et ses affrontements, évidemment, mais, ce qui subsiste de l’esprit de la lutte, c’est le désir, je crois largement partagé, de donner toujours la primauté au débat et à l’écoute.
Quelles différences voyez-vous entre la lutte du Larzac et celle de Notre-Dame-des-Landes ?
La principale motivation des jeunes qui soutenaient la lutte du Larzac était d’abord antimilitariste. La conscription était remise en cause, certains prônaient l’objection de conscience ou l’insoumission, d’autres créaient des comités de soldats dans les casernes, l’armée était vue comme un vaste système de contrôle et d’abrutissement de la jeunesse.
Les soutiens plus politiques insistaient de leur côté sur la mise en cause de l’outil de travail : on voulait priver les paysans de leur ferme comme les ouvriers de Lip de leur usine. Quarante ans après, on voit bien que les préoccupations écologiques – qui étaient alors embryonnaires – sont prépondérantes, avec cette idée de grands travaux inutiles et dévastateurs pour l’environnement.
Mais la différence pour moi fondamentale est que, sur le Larzac, on faisait face au gouvernement dans un combat où seules s’affrontaient deux conceptions de l’intérêt public. Ici, on voit bien que l’intérêt public n’est qu’un argument de paille pour dissimuler les projets industriels des multinationales et les profits faramineux qu’elles en attendent.
Le libéralisme est passé par là : c’est Vinci qui tire les ficelles. Et plus elles sont grosses – comme le référendum départemental pour un projet régional ! –, plus elles sont difficiles à détricoter, parce que l’ennemi avance masqué derrière les complicités politiques.