David Cormand : « Le Brexit nous oblige à changer »
David Cormand défend ici l’idée d’une démocratisation de l’Union européenne sans rupture.
dans l’hebdo N° 1411 Acheter ce numéro
Au lendemain du Brexit, les écologistes, prônent une sortie du cadre actuel de l’Europe par le haut, en regagnant la confiance des peuples et en construisant une réelle souveraineté -européenne.
Comment avez-vous réagi à l’annonce du résultat du référendum britannique ? A-t-il modifié votre position par rapport à l’Union européenne?
David Cormand : Dans tous les cas, il y avait un problème. Si le « remain » l’avait emporté, cela impliquait des mesures dérogatoires qui remettaient en question encore davantage notre conception d’une Europe que l’on souhaite plus intégrée, plus solidaire, plus démocratique, plus fédérale et plus écologiste. Mais ce « leave » est un électrochoc. Il met les dirigeants européens en demeure de changer les choses.
Le cadre européen actuel n’est pas viable, car non désirable. Le statu quo n’est pas une option. Deux possibilités s’offrent à nous : la sortie du cadre européen actuel par le bas, par le nationalisme ou le repli sur la souveraineté nationale, ou la sortie par le haut, avec plus de démocratie et la fin du libéralisme imposé et d’une technocratie qui éloigne les citoyens. En tant qu’écologistes, nous prônons évidemment une sortie par le haut, mais le Brexit ne change pas notre approche. Parce que renoncer à l’échelon européen, c’est se condamner à l’impuissance.
Depuis le vote, on met beaucoup en accusation le vote des citoyens. Mais qu’en est-il des responsabilités de l’UE ?
La responsabilité est partagée. Mais quand, dans plusieurs pays européens, comme la Grande-Bretagne aujourd’hui, la France en 2005, les Pays-Bas ou la Suède, vous avez le même syndrome, c’est que l’UE a ses responsabilités. Le symbole de tout cela, c’est Jean-Claude -Juncker. Pendant des années, il a été Premier ministre du Luxembourg, un État dont l’essentiel de l’activité économique est d’organiser l’évasion fiscale des entreprises d’autres pays européens. Or, en même temps, il prétend organiser une justice sociale et fiscale à l’échelle de l’Europe.
Le rêve européen, à l’origine, c’est la paix et la prospérité. Pendant plusieurs décennies, cela a marché. Mais, aujourd’hui, ces promesses sont en train de se déliter avec la crise économique et sociale. En ce qui concerne la paix, on n’arrive pas à répondre à un enjeu comme celui des réfugiés.
Comment peut-on amener l’Europe à évoluer vers plus de démocratie, plus de considération pour le social et l’écologie ?
D’abord, il faut retrouver la confiance des peuples, perdue à cause de l’opacité des décisions qui sont prises. L’exemple récent, ce sont les négociations autour du Tafta ou du Ceta. Ce n’est plus possible de voir des négociations pour des traités ayant des conséquences sur notre vie quotidienne se dérouler dans notre dos. Il faut donc un premier message clair : il n’y aura plus jamais de négociations opaques, et on stoppe le Tafta et le Ceta.
Ensuite, comme cela se fait en Allemagne, il faut que les positions défendues par la France au niveau européen soient validées par les parlements nationaux. Pour l’instant, le Parlement européen a peu de pouvoir. Dans l’attente d’un réel transfert de souveraineté entre les États et l’Europe, cette mesure est nécessaire. Sinon, il existe un vide de souveraineté : si ce n’est ni le Parlement national ni le Parlement européen, qui décide ?
Enfin, il faudra passer par une remise à jour des traités européens. Ils ne doivent plus porter sur des choix économiques, qui relèvent de choix démocratiques. Je plaide pour un nouveau traité constitutionnel reposant sur trois piliers : un pilier institutionnel et démocratique, un pilier sur les droits humains et les libertés fondamentales, et un pilier environnemental sur la protection des espaces naturels et la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.
Est-ce qu’il faut une rupture ou est-ce qu’une évolution peut être conduite à l’intérieur des institutions européennes ?
Une rupture n’implique pas nécessairement une évolution positive. Chez EELV, nous ne voulons pas jeter le bébé du « rêve européen » avec l’eau du bain libéral que les traités et l’hypocrisie des dirigeants européens imposent aujourd’hui. Une sortie par le haut ne peut se faire qu’avec les autres États européens, et surtout les peuples. Ce positionnement n’est pas incompatible avec celui de Pierre Laurent ou de Yanis Varoufakis.
Vous évoquez le débat au sein de la gauche. L’Europe est-elle toujours une pomme de discorde au sein de la gauche, notamment entre vous et Mélenchon ?
Il y a une tentation, chez Jean-Luc Mélenchon, d’accompagner la pulsion de rejet de l’Europe. La traduction politique qu’il lui donne, c’est : « retrouvons notre souveraineté de Français ». Et non pas « construisons notre souveraineté européenne ». C’est un renoncement à l’idéal européen, mais aussi à la capacité de peser à l’échelon d’un continent sur les lobbys et les intérêts particuliers. Une souveraineté nationale sera toujours plus faible qu’une souveraineté européenne. Encore faut-il que cette dernière soit réellement assumée. Au sein d’EELV, il y a un consensus pour construire une sortie du cadre actuel vers le haut. Notre positionnement n’est ni euro-béat ni euro–sceptique. Il est euro-exigeant.