Images suspectes et flou de la pensée
Quoi de commun entre les images « choquantes » de France Télévisions, le retrait du film Bastille Day et l’annulation de l’interdiction aux moins de 18 ans du documentaire Salafistes ?
dans l’hebdo N° 1413-1415 Acheter ce numéro
Quoi de commun entre les excuses formulées par la direction de France Télévisions à propos d’images « choquantes » diffusées dans les heures qui ont suivi l’attentat de Nice, la demande de retrait auprès des exploitants du film Bastille Day par son distributeur et la décision de justice, survenue le 12 juillet, qui annule l’interdiction aux moins de 18 ans de Salafistes, documentaire de François Margolin et Lemine Ould Salem ? Ces trois faits disent combien l’image, dans notre société, reste un objet peu maîtrisé, dont la boulimique présence déborde le temps de réflexion qu’il faudrait y consacrer.
La réponse aux télévisions ne peut qu’être radicale. Plus que de vertu déontologique, dont la solidité est humaine, donc relative, les chaînes devraient être capables de cesser un direct inutile, cette maladie de l’« info continue » qui, tel un ogre, absorbe tout, y compris et surtout le pire.
La requête de Studiocanal de déprogrammer le film qu’il distribue, Bastille Day, de James Watkins, sorti sur les écrans le 13 juillet, repose sur un télescopage entre fiction et réalité. Si l’intrigue est différente des modalités du massacre de Nice, des terroristes y prévoient un attentat le 14 juillet. « Certains aspects du film ne sont pas en phase avec l’esprit de recueillement national », a expliqué le distributeur. On peut aussi songer au film tchèque de Tomas Weinreb et Petr Kazda, Moi, Olga (voir Politis n° 1411, du 7 juillet), où l’héroïne fonce sur des passants avec un camion pour les tuer ! Ce qui corrige l’idée selon laquelle un tel mode opératoire ne pourrait naître que dans l’esprit mortifère des islamistes de Daech.
Enfin, la décision de justice en faveur de Salafistes paraît, sur le plan symbolique, en contradiction avec l’obsession protectrice qui justifie habituellement les censures. Ce film irresponsable, qui donne à entendre et à voir la propagande de Daech sans aucune mise en perspective, n’a cure de son spectateur. Comme l’écrit la philosophe Marie-José Mondzain dans L’image peut-elle tuer ? : « Ne pas savoir initier un regard à sa propre passion de voir, ne pas pouvoir construire une culture du regard, voilà où commence la vraie violence à l’égard de ceux qu’on livre désarmés à la voracité des visibilités. » À méditer…
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