L’île de la déréliction
Avec Tristesses, Anne-Cécile Vandalem livre une fable à la beauté spectrale.
dans l’hebdo N° 1413-1415 Acheter ce numéro
Une chapelle grise à la croix de guingois et trois maisons collées les unes aux autres, grandes comme des cabanes à outils. Et baignées d’une lumière douteuse. « Tristesse » n’est pas pour rien le nom de l’île du nord du Danemark où la comédienne, auteure et metteuse en scène belge Anne-Cécile Vandalem situe sa dernière création. Vidé de ses habitants depuis la fermeture de ses abattoirs, ce territoire fictif n’abrite plus que huit personnes. « Sept, maintenant », rectifient régulièrement les personnages de la pièce.
Tristesses commence comme un polar : la veille des élections nationales, Ida Heiger, la mère du leader du Parti du réveil populaire, est retrouvée pendue dans le drapeau national. Au rythme funèbre d’une musique jouée en direct, on assiste à la révélation des manigances du Parti pour transformer les anciens abattoirs en studio de cinéma de propagande. Mais Anne-Cécile Vandalem va plus loin. À partir de cette trame, elle imagine le quotidien absurde de la communauté renfermée sur elle-même. Ses jeux fous, comme le Trivial Pursuit initial, prétexte pour le maire à exercer son autorité sur l’île entière.
Après le pâle Ceux qui errent ne se trompent pas,de Maëlle Poésy, où un vote blanc massif provoque un déluge, ou encore le poussif Tigern,de Gianina Carbunariu, où un tigre échappé d’un zoo est prétexte à une critique sociale sans finesse, cette 70e édition du Festival d’Avignon répond enfin à ses promesses de théâtre politique. Anne-Cécile Vandalem dit la montée des nationalismes avec un décalage subtil par rapport au réel. Shakespearienne, sa fable où morts et vivants se côtoient se déroule dans une lenteur hallucinée. Dans un étrange tissé d’humour noir, dont la violence n’est jamais dénuée d’un reste d’innocence. Celle de la jeune Ellen, par exemple, qui se croit investie par la morte d’une mission…