Scènes d’adieu en Lozère
À Marvejols ou à Langogne, des théâtres se voient contraints de fermer ou de développer des projets moins ambitieux.
dans l’hebdo N° 1412 Acheter ce numéro
La Mauvaise Tête est tombée. L’enseigne a été décrochée. « On fait les cartons, on rend les clés fin juillet », soupire Thierry Arnal, président de l’association qui gère le théâtre de la Mauvaise Tête (TMT) à Marvejols (Lozère), menacé de fermeture depuis des mois (voir Politis n° 1401). Le soir de la dernière, à part l’adjointe à la culture, il n’y avait pas un élu dans la salle, « après quarante ans d’existence », souffle-t-il avant d’évoquer une « très belle soirée, empreinte de solennité », avec des musiciens tunisiens.
« Que le talent des artistes de Sahli puisse sécher nos larmes et atténuer notre tristesse », écrivait l’équipe du TMT pour annoncer le spectacle du 10 juin sur les réseaux sociaux. Ce serait elle, finalement, qui aurait « jeté l’éponge ». C’est en tout cas ce que titrait le Midi libre du 4 juin et ce que beaucoup ont retenu. Mais ce n’est qu’une vision des choses : en fait, l’équipe du théâtre a préféré se dissoudre plutôt que d’accepter l’aide conditionnée proposée par la communauté de communes du Gévaudan.
Quelles étaient ces conditions ? « Requalification du projet culturel », résume Rémi André, président de la communauté de communes. Soit une réduction du nombre de salariés (il y en avait quatre), une révision de la programmation et la présence de deux élus au conseil d’administration. La communauté de communes n’a pas la « compétence culture », a-t-il justifié, reconnaissant avoir refusé « de voter toute aide au TMT » (Le Midi libre, 12 juin.).
La ville de Marvejols, en faillite, avait besoin des douze communes voisines pour maintenir une subvention à cette scène ouverte sur la création contemporaine et reprendre la main après deux ans de secours assurés par l’État et la région. Il manquait 40 000 euros au théâtre pour boucler son budget annuel de 260 000 euros. « Au lieu de quoi, on nous a réclamé des spectacles tout public, avec des scolaires et avec des amateurs, ce que nous faisions déjà ! », s’étonne Thierry Arnal.
On exigeait surtout du TMT des spectacles moins « élitistes » et moins chers, en remplaçant notamment des professionnels par des bénévoles. Cette aide sous conditions a pris des allures de guillotine.
« La fermeture du TMT est une grande perte pour la Lozère, car c’était un théâtre de grande -qualité et très réputé, déplore Sophie Malige, adjointe à la culture au conseil départemental. Cette fermeture en dit long sur les difficultés que rencontrent les collectivités locales, contraintes de miser moins sur la culture. C’est l’une des raisons qui nous ont poussés à augmenter le budget de la culture au département. »
Un département « culturophile », assure Bruno Hallauer. Comédien, auteur et metteur en scène, il préside L’Hermine de rien, scène vicinale qui crée et diffuse des spectacles en Lozère depuis trente ans et gère le théâtre de l’Arentelle à Saint-Flour-de-Mercoir, village de 150 âmes près de Langogne, à la frontière de l’Ardèche. Avec sa compagne, qui administre le théâtre, c’est le régime d’intermittent qui leur a permis de proposer des formations aux scolaires et aux centres sociaux, d’accueillir des artistes en résidence et de créer leurs propres spectacles dans un théâtre construit grâce à des aides européennes en 2000. Aujourd’hui, ils s’apprêtent également à tirer leur révérence.
« L’âge et l’argent », résume Bruno Hallauer. À 65 ans passés, il voit les subventions fondre en Lozère comme partout. Lui et sa femme savent que pour leur fille, diplômée de l’Ensatt, une des écoles de théâtre les plus réputées, à Lyon, le métier sera plus dur qu’à leurs débuts. Entre Marvejols et Langogne, il y a plus d’une heure quinze de route. Les Lozériens ont l’habitude des trajets. Certains peuvent se rendre à Montpellier pour passer une soirée à l’opéra. Mais quid de l’offre culturelle chez eux, en milieu rural ?
La Fédération des foyers ruraux, qui soutient la diffusion culturelle dans le département depuis les années 1980 et programme le festival Contes et rencontres, ne pouvait pas, par exemple, s’offrir des spectacles du TMT, qui coûtaient environ 2 500 euros quand elle y consacre 800 euros. « Mais on pouvait espérer que certaines pièces du Festival d’Avignon passent au TMT », regrette une Lozérienne. C’est moins l’objectif des scènes restantes : la Genette verte à Florac, le théâtre de Mende et le ciné-théâtre de Saint-Chély-d’Apcher sont déjà contraintes à une programmation « différente »…