« Solveig Anspach avait une élégance du cœur »
À l’occasion de l’hommage que rendent à la réalisatrice les Ciné-Rencontres de Prades, Patrick Sobelman, qui a produit la plupart de ses films, revient sur sa personnalité, son cinéma, et leur complicité professionnelle.
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Solveig Anspach est morte le 7 août 2015, à 54 ans, fauchée par un cancer qui s’est déclenché en elle plus de quinze années après la première attaque de la maladie, expérience que la cinéaste a racontée dans son premier film de -fiction, Haut les cœurs ! (1999), où Karin Viard interprétait son rôle.
Les Ciné-Rencontres de Prades (Pyrénées-Orientales), festival dont Solveig Anspach était très proche, lui consacrent cette année un hommage en présence de Patrick Sobelman [^1], qui a produit chez Agat films la plupart de ses films : de Haut les cœurs ! à Queen of Montreuil en passant par Stormy Weather, Back Soon et son dernier long métrage encore en salles, cette jolie comédie qu’est L’Effet aquatique (voir Politis n° 1410, 30 juin). Nous avons voulu évoquer avec lui la cinéaste et leur travail en commun.
Comment avez-vous rencontré Solveig Anspach ?
Patrick Sobelman : C’était en 1997. Solveig Anspach avait écrit un premier jet de ce qui allait devenir Haut les cœurs !. De ses études à la Femis, elle avait gardé un lien avec Caroline Roussel, qui, depuis, est devenue productrice [^2], et qui, à l’époque, était ma petite amie. Caroline m’a transmis le projet à la demande de Solveig parce que, travaillant chez Agat films aux côtés de Robert Guédiguian, j’étais associé à celui qui avait -réalisé À la vie à la mort !, un film qui l’avait beaucoup marquée.
Quel souvenir gardez-vous de cette première rencontre ?
D’abord, cette façon très nette qu’elle avait de dire les choses, rehaussée par une très légère pointe gutturale dans sa voix. Dans tout ce qu’elle disait et -faisait, Solveig était nette. On pouvait être d’accord ou pas avec elle, mais ce n’était jamais flou ou filandreux.
Pour moi, cette rencontre a été déterminante. Je n’avais pas encore produit de film de cinéma. C’était le bon moment, Solveig était la bonne personne (elle commençait : nous avons appris ensemble) et c’était le bon projet, de petite taille en termes économiques, ce qui me rassurait.
La confiance entre nous est née dès ce moment-là et n’a cessé de se fortifier.
Comment caractériser votre relation professionnelle ?
Elle était très libre. Nous pouvions nous parler franchement sans que cela brise quelque chose entre nous. Elle m’a apporté des projets auxquels je ne croyais pas, je lui expliquais pourquoi, et elle finissait par partager mon opinion – souvent, il s’agissait d’une impulsion dont elle ressentait le besoin de parler rapidement avec moi.
De son côté, elle a pu me convaincre de la nécessité d’un projet sur lequel j’étais a priori perplexe. À la fin, nous étions de toute façon toujours d’accord. Elle n’a jamais fait de film avec un autre producteur parce que je lui aurais refusé un projet auquel elle tenait. Le travail entre nous était constant. C’était la même chose entre Solveig et Jean-Luc Gaget, avec lequel elle a écrit plusieurs de ses films : ils travaillaient en permanence, multipliant les projets.
Comment avez-vous vu évoluer son travail ?
Entre sa sortie de la Femis et Haut les cœurs !, il s’est passé une dizaine d’années durant lesquelles Solveig a réalisé plusieurs documentaires. Tous sont très posés, absolument pas virevoltants, avec une caméra qui bougerait dans tous les sens… Elle attend que le réel propose des choses. Son travail de fiction part de là.
L’Effet aquatique, qui est malheureusement le point d’arrivée de son parcours, marque un aboutissement : elle s’est débarrassée du moindre superflu. Tout est là, à sa place. Il y a un ordonnancement, une ligne claire, élégante. Qui relève d’une élégance du cœur. Cette expression peut paraître naïve, mais, chez Solveig, c’était une réalité.
L’Effet aquatique était-il le dernier projet de Solveig Anspach ?
Non, elle avait deux films en vue. Un thriller, avec un autre producteur, qui sera réalisé par Jean-Luc Gaget. Et un second que nous devions faire ensemble. Un jour, en 2013, au cours d’un dîner, Solveig a raconté un épisode de la vie de sa mère, une grande architecte islandaise, qui lui est arrivé il n’y a pas si longtemps, à 77 ou 78 ans : une histoire d’amour avec un homme beaucoup plus jeune. Autour de la table, tous les convives ont été très émus par cette histoire, dont nous nous sommes dit, Solveig et moi, qu’il y avait matière à un film.
Elle a voulu écrire cette histoire avec une scénariste femme, Agnès de Sacy. Puis on s’est mis en quête d’une actrice. Comme la mère de Solveig est francophone, on a cherché une comédienne anglaise pouvant s’exprimer en français. Nous avons fait lire le scénario à Vanessa Redgrave. Celle-ci nous a « convoqués » à Londres. Le 2 juillet 2015, Solveig, que j’accompagnais, a pris l’Eurostar pour aller la voir. Elle était très diminuée, elle souffrait, et ce voyage lui a demandé beaucoup d’efforts.
Quant à Vanessa Redgrave, elle a une manière très rude de dire qu’elle aime un projet ! Si bien qu’à un moment Solveig lui a posé la main sur le bras et lui a dit : « Si nous faisons le film ensemble, il faut que vous me promettiez une chose : soyez gentille avec moi. » On n’avait jamais parlé comme cela à Vanessa Redgrave, qui s’est tout de suite radoucie.
Mais Solveig est morte un peu plus d’un mois plus tard. Elle m’avait demandé de mener à bien ce projet malgré tout, qui nécessitait à ses yeux une femme derrière la caméra. Donc ce film se fera. Je pourrai dire bientôt, quand on en sera complètement sûrs, quelle sera cette réalisatrice. Pour moi, c’est une grande chance, car, grâce à ce projet, je continue, pour quelque temps, à vivre au présent avec Solveig.
[^1] Également en présence de Robert Guédiguian.
[^2] C’est Caroline Roussel qui a produit un autre film de Solveig Anspach, Lulu femme nue.