Wael, 30 ans, touriste dans le 93 : « L’incroyable, ça se mérite »

Depuis un mois, ce jeune homme originaire de la Seine-Saint-Denis voyage dans le département avec sa caméra pour y tourner un documentaire. Son objectif : redorer l’image du 93, département des « faits divers ».

Natacha Delmotte  • 27 juillet 2016
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Wael, 30 ans, touriste dans le 93 : « L’incroyable, ça se mérite »
© issu de la page Facebook "Mon incroyable 93". Photos insérées dans l'article : Natacha Delmotte

Quand on se rencontre à la gare de Neuilly-Plaisance, Wael Sghaier, touriste « professionnel » du 93, n’est pas encore fixé pour le programme de l’après-midi. « Il y a des villes bouillonnantes dans lesquelles il y a mille choses à faire et à voir, et d’autres, où il faut chercher un peu plus. » Depuis un mois, le jeune homme de 30 ans parcourt les quarante villes qui composent la Seine-Saint-Denis afin de présenter d’autres facettes du 93. Deux ans auparavant, il avait déjà tenté l’expérience avec son blog. Aujourd’hui, il est à nouveau sur la route. Son but : en faire un documentaire vidéo et aider à redorer l’image du département.

Ce jour-là, sa route l’a amené à Neuilly-Plaisance, ville de 20 800 habitants desservie par le RER A. Mais, à la fin du mois de juillet, Wael se sent un peu désemparé : les activités ne semblent pas être légion. Il plaisante : « Au pire, on s’installe dans un PMU pour rencontrer les habitants de la ville ». Qu’à cela ne tienne, il entreprend alors une quête dans la ville. Son but : rencontrer des individus intéressants et mettre en valeur le patrimoine de la ville.

Redorer l’image de la Seine-Saint-Denis par le « patrimoine humain »

Wael voyage léger. Habitant dans la région, il n’est pas rentré chez lui depuis trois semaines. Un sac à dos avec des vêtements pour sept jours, sa caméra et son micro pour tourner le documentaire et… C’est à peu près tout. Pas de sac de couchage, une tente qu’un habitant lui a donné au détour d’une ville et qu’on lui amène si besoin. Il ne réserve rien, et compte sur « l’hospitalité des habitants ». Régulièrement, il rencontre des gens qui acceptent de l’accueillir chez eux et de lui faire visiter leur ville. Ce sont « des rencontres un peu au hasard, des contacts pris par Facebook ou des amis d’amis ».

C’est par le biais des rencontres que Wael compte « redorer » l’image de son « incroyable 93 ». Originaire d’Aulnay-sous-Bois, il souffre comme de nombreux habitants de l’image d’un département montré principalement à travers « les faits divers ». « Rendre le territoire beau, en rendant les gens beaux », explique-t-il, c’est-à-dire en mettant en avant le patrimoine humain du territoire par l’accueil, les initiatives, les alternatives que les habitants mettent en place.

© Politis

Wael tient particulièrement à s’ouvrir aux autres. Sur la route de la mairie à Neuilly-Plaisance, il interpelle les gens, il rentre dans un bar et discute avec le patron. « Excusez-moi, vous auriez une visite à me conseiller dans la ville ? » Réceptifs, les gens qu’ils rencontrent saluent son initiative. Mais une fois à la mairie, la chasse au trésor commence : on conseille à Wael de se rendre à la bibliothèque, où on lui conseille de se rendre au service de l’urbanisme… qui est finalement fermé.

Le dépaysement, un état d’esprit

Pas franchement perturbé, Wael s’aventure dans la ville, d’abord à la communauté Emmaüs, première communauté fondée par l’abbé Pierre à la genèse de l’association. Une rencontre imprévue avec un membre de la communauté l’amène, après un bref exposé d’histoire du territoire, dans le parc communal du coteau d’Avron. Puis, sur conseil d’un commentaire Facebook, au stade de la ville à la rencontre des adeptes du Street Workout, pratique sportive à mi-chemin entre la gymnastique et la musculation.

Wael ne prépare pas son programme à l’avance, sauf exception. Il avance au fil des rencontres, « 70% d’entre elles sont imprévus, les 30% restantes le sont ». Et il a généralement de bonnes surprises à se plonger dans l’univers familier des gens. « J’ai appelé mon projet ‘mon incroyable 93’, mais l’incroyable, c’est aussi le quotidien des gens ». Ce voyage est la preuve qu’il ne faut pas aller bien loin pour profiter du dépaysement : « c’est un état d’esprit. On peut s’émerveiller de la normalité ».

© Politis

Muni de sa caméra, Wael enregistre tous ces instants de vie. Son objectif : réaliser un long documentaire qui pourrait être diffusé sur une chaîne de télévision. « Ça pourrait même être une chaîne du service public, parce qu’en faisant ce documentaire, j‘ai l’impression de servir l’intérêt général », commente-t-il. « Après tout, les médias ont participé à la mauvaise image du département ». Il compte sur la vidéo pour lui permettre d’avoir un impact plus fort que lors de son précédent voyage. Mais il se questionne : comment incarner le projet sans trop se mettre en avant, au risque d’effacer ses interlocuteurs?

« Mon incroyable 93 » casse les clichés

Le jeune homme veut dresser un portrait complet de son département, un portrait qui ne peut donc pas en donner une image lisse et homogène. Les anecdotes qu’il livre cassent les clichés. «On est souvent mieux accueilli dans une grande ville que dans une commune plus petite, où les gens vont moins facilement te proposer un hébergement pour la nuit. » Son étape préférée ? « Saint-Denis, une ville bouillonnante qui grouille d’initiatives. J’aurais pu y passer une semaine sans problème et l’accueil était exceptionnel. »

À l’image de son opinion de Saint-Denis, les rencontres faites à Neuilly-Plaisance par exemple le poussent à dépasser les préjugés. Dans la structure du Street Workout, il y rencontre Mehrez, qui s’est déplacé spécialement pour venir à la rencontre de Wael, à l’annonce de son documentaire. Élu municipal de la ville, c’est lui qui a porté le projet d’installation. Ce jeune homme handicapé vit le Street Workout comme une discipline de partage, accessible à tous, gratuite. Wael, séduit, tente même quelques tractions à la fin de l’interview.

© Politis

À la fin du mois, son voyage dans le 93 s’achève et si rien n’est encore fait, ses prochains voyages le pousseront certainement hors du département. « Mes proches en ont marre de la Seine-Saint-Denis. » Après ce premier documentaire, Wael Sghaier a l’intention d’en faire d’autres pour s’intéresser à des sujets sensiblement similaires : montrer la beauté des lieux souvent décriés, comme les grands ensembles par exemple. « Je veux montrer que ce n’est pas que des faits divers par exemple. Pour cela, il faut comprendre l’architecture et ses habitants, prendre le temps de s’interroger. L’incroyable, ça se mérite. »

Société
Temps de lecture : 6 minutes
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