Abd El-Kader, l’anti-Daech

Dans une œuvre romanesque, Loïc Barrière restitue la figure de celui qui fut le premier résistant à la colonisation française de l’Algérie.

Denis Sieffert  • 24 août 2016 abonné·es
Abd El-Kader, l’anti-Daech
© Gianni Dagli Orti/The Art Archive/The Picture Desk/afp

L’idée de ce livre est venue à Loïc Barrière au lendemain des attentats de Charlie Hebdo. Cette circonstance n’est évidemment pas anodine. L’auteur, journaliste à Radio Orient, a voulu retracer l’histoire de la résistance de l’émir Abd El-Kader à la colonisation algérienne et faire revivre un personnage dont la parole nous serait bien utile aujourd’hui. Il a choisi pour cette entreprise la forme la plus pédagogique : le roman. Le regard est celui de Rachid, gamin de 10 ans qui a assisté au massacre de sa tribu par les Français, un jour d’avril 1832. Recueilli par l’un des survivants, Rachid va bientôt rejoindre ce jeune émir dont la réputation d’intelligence et de courage parcourt déjà le pays. Il deviendra son palefrenier puis son secrétaire, vivant au plus près tous les épisodes de son épopée.

Au long d’un récit qui couvre ces quinze années de résistance à un envahisseur barbare et dépourvu de scrupules, se dessine la figure étonnante d’un guerrier habité d’un idéal d’indépendance mais qui ne déroge jamais à ses principes. Étonnants dialogues reconstitués de l’émir avec ses prisonniers de guerre, toujours respectés ! Étonnante Lala Zohra, la mère de l’émir, offrant le thé et des victuailles à ces étrangers qui s’attendaient à la torture et à la mort !

La résistance, c’est d’abord l’obligation d’unifier les tribus contre l’occupant. La tâche n’est pas aisée. Les Français savent acheter des chefs tribaux qui n’ont pas l’exigence morale d’Abd El-Kader. Et les plus réticents à rallier l’émir ont tôt fait de devenir les plus radicaux dès qu’ils ont franchi le pas. Car le périple d’Abd El-Kader dans l’Ouest algérien, c’est d’abord une histoire politique. L’émir est un homme habile qui sait proposer des trêves à l’ennemi pour reconstituer ses forces. Mais son sens tactique n’est pas toujours compris. Surmontant les épreuves, il est, au temps de sa splendeur, à la tête de deux cents chefs de tribu et de quinze mille cavaliers. Il règne sur les deux tiers du pays.

L’histoire bascule quand le général Bugeaud obtient des renforts et lorsqu’il installe des colons sur les terres des Arabes. En 1841, Abd El-Kader doit évacuer Tagdempt, où il avait établi son campement. La ville, désertée par ses habitants, est envahie par les goumiers puis incendiée. Dans la grande tradition coloniale.

On connaît la suite. La fameuse prise de la smala par les troupes du duc d’Aumale, en 1843. Détail significatif : Aumale fait détruire livres et manuscrits. Abd El-Kader termine sa vie à Damas, comme son inspirateur andalou, le penseur soufi Ibn ‘Arabi, mort en 1240 dans la capitale des Ommeyades.

Humaniste, ami des chrétiens et des juifs, Abd El-Kader, héros pour les uns, est aujourd’hui un sujet de controverse pour les autres. En le faisant revivre, Loïc Barrière nous parle de notre époque.

Idées
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