Nexon, village de cirque
La 30e édition de la Route du Sirque, qui s’est tenue du 1er au 20 août, a été un beau carrefour de pratiques, entre émergence et répertoire. Et toujours en musique.
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Chaque jour à partir de 15 heures, devant le château de Nexon, où s’installe tous les ans le cœur du festival la Route du Sirque, une histoire commencée il y a trente ans se poursuit. La guinguette ambulante Le Trimardeur ouvre sa toile bleu et blanc. On y sert les premiers cafés et on y passe les premiers morceaux. De la vieille cumbia, qui, le soir venu, après le dernier spectacle, fait place à des concerts. À l’électro de la Reine Mab, dont le trio de synthétiseurs analogiques accompagne une chanteuse à la voix profonde. À celle des Frères Jackfruit le lendemain, qui remixent des musiques tropicales plus ou moins oubliées avec une générosité qui rappelle Rémy Kolpa Kopoul, alias RKK, grand DJ et homme de radio disparu il y a un peu plus d’un an. Ou encore au punk bricolé de Manu Deligne. Comme le nom de l’événement l’indique, nous sommes pourtant bien en plein festival de cirque. Et non des moindres.
« Dès sa nomination en 2013 à la tête du Sirque-pôle national des arts du cirque de Nexon, Martin Palisse a mis la musique au cœur de son festival. Et cela à travers des concerts mais aussi en programmant des spectacles dont la dimension musicale est centrale », observe Jérôme Thomas, tandis que public et circassiens se déhanchent sur les sons métissés des Frères Jackfruit. Artiste « coopérateur » du festival de 2015 à 2018 – il a à ce titre participé cette année au développement de Landscape(s)#1, de la jeune compagnie la Migration –, considéré comme un des pères du jonglage contemporain, il voit dans cette ouverture un tournant majeur. « Le jonglage, aujourd’hui, évolue beaucoup au contact de la musique. Il faut favoriser leur rencontre et leurs échanges. »
Chacune à sa manière, les deux pièces phares de cette édition anniversaire composée de quatorze spectacles sont en effet très musicales. Dans In Gino Veritas, la dernière création de la fameuse Famille Morallès, s’enchaînent sous la forme assez classique d’une mise en abyme de spectacle-cabaret des chansons et des numéros volontairement ringards. Plus subtile, la musicalité de Johann Le Guillerm dans Secret (temps 2) s’exprime à travers un rapport singulier à la matière. « Johann ne travaille pas dans l’espace et le temps, il travaille avec, ce qui est très rare », dit le directeur du festival. Seul en scène, l’artiste mêle les disciplines du cirque à travers des numéros qu’il répète depuis la création de Secret (temps 1) en 2003, dans une opposition implicite à une institution qui incite à la nouveauté sans donner aux artistes les moyens de développer leurs recherches.
Lui-même jongleur et cofondateur de la compagnie Bang Bang avec Elsa Guérin, artiste coopératrice du festival avec Jérôme Thomas, Martin Palisse attache autant d’importance à l’émergence qu’au répertoire. Ce dernier étant inscrit dans la topographie même de Nexon, dont la place située face à l’église porte le nom -d’Annie -Fratellini. Venue s’installer en 1987 devant le château, celle qui, en fondant l’Académie Fratellini, a largement contribué à l’entrée du cirque dans la modernité a donné de nombreux stages tout public à Nexon. Marc Délhiat et Guiloui Karl, les anciens directeurs du festival, et Martin Palisse ont poursuivin en organisant chaque année des master class. Si bien que le public local possède un goût et une culture du nouveau cirque étonnants dans un village relativement isolé de moins de 2 500 habitants.
Pour Gérard, par exemple, plombier de 67 ans dont le logement sert de maison d’hôtes pendant le festival, la Route du Sirque est l’un des moments les plus attendus de l’année. Habitant de Nexon depuis une quinzaine d’années, il partage avec plaisir ses plus beaux souvenirs de cirque avec les artistes et festivaliers qu’il accueille. Et discute avec enthousiasme des spectacles vus au jour le jour, tout en racontant des anecdotes savoureuses. Cette année, il était particulièrement impatient de voir Secret (temps 2). « Comme les Morallès, Johann Le Guillerm n’était jamais venu à Nexon. Il fait d’habitude les grands festivals, souvent à l’étranger. C’est une chance qu’il soit programmé ici. »
Gérard a été ravi de retrouver Pierre Déaux, rencontré à plusieurs reprises, et dont le clownesque Funambule a enchanté le public. Il a aussi apprécié de découvrir des circassiens de la nouvelle génération, comme ceux de la Migration, avec leur nouvel agrès, ou encore Juan Ignacio Tula et Stefan -Kinsman à la roue Cyr dans –Somnium. À Nexon, le cirque est un bien public. Et c’est un bonheur.