« Nocturama », de Bertrand Bonello : Poétique de l’explosion
Dans Nocturama, Bertrand Bonello compose un tableau plus métaphorique que politique d’une jeunesse capable de commettre un attentat.
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En mai dernier, la rumeur disait que Nocturama, le nouveau film de -Bertrand Bonello (L’Apollonide, Saint Laurent), avait été non sélectionné à Cannes à cause de son sujet. Certains, il est vrai, semblent embarrassés face à Nocturama, qui touche directement à notre actualité tragique. On y voit un groupe de jeunes gens exécutant un attentat terroriste à Paris. Le film devait initialement s’intituler Paris est une fête. Mais, entre-temps, à la suite des massacres du 13 novembre, le roman d’Hemingway ayant été brandi comme signe de résistance à l’horreur, garder ce titre plaçait le film dans un champ symbolique surdimensionné et, en outre, assez étranger à ce qu’il est.
Si Nocturama évoque par son argument les attentats que nous avons connus, s’il capte quelque chose d’une atmosphère de tension dont on sent qu’il suffirait de peu pour qu’elle explose, l’œuvre de Bertrand Bonello se présente avant tout comme une métaphore aux préoccupations formalistes. Dans une première partie, on suit un certain nombre de filles et de garçons, seuls ou par petits groupes de deux ou trois, circulant à pied ou dans le métro. C’est une « chorégraphie » urbaine et prosaïque, traitée sur le mode simultanéiste, au rythme d’une musique pulsionnelle (signée par le cinéaste), avec de longues marches, des attentes, des clés récupérées et des objets explosifs que les personnages dissimulent. L’ensemble de ces mouvements paraît être organisé avec précision.
Au terme de ce ballet : de spectaculaires conflagrations dans Paris, qui ne semblent pas faire de victimes mais de gros dégâts -matériels. Et un point de ralliement où tous les protagonistes dispersés se retrouvent : un grand magasin, juste après sa fermeture, où se déroule la seconde partie, le temps de la nuit qui s’ouvre.
Là, le film ne se fait pas plus explicatif sur les motivations des personnages. Ceux-ci sont de tous milieux sociaux, sans idéologie marquée. On devine chez eux un dégoût du capitalisme, mais, au cœur d’un temple de la consommation comme l’est ce grand magasin, ils se laissent prendre sans résistance par l’attrait des objets, des vêtements et du luxe qui leur tend les bras. Il est convenu qu’à l’aube ils rentreront chacun chez eux. Alors ils passent le temps à écouter des CD, à fouiller dans les rayons, à essayer les robes et les costumes, à s’amuser.
Dans Nocturama, les « terroristes » sont donc des enfants terribles et perdus, probablement manipulés par un étrange personnage, le seul à être cynique et meurtrier, interprété par Vincent Rottiers. Il serait faux d’y voir un message qui dédouanerait les exécuteurs d’attentats. Mais, au cours de cette nuit où un couple d’amoureux rêve de sa vie future, où un garçon fait de la voiture à pédales et où un autre, déchirant, fardé comme pour mieux cacher son désespoir, chante en karaoké My Way – ce chemin pour eux désormais sans issue –, c’est bien leur juvénilité qui domine. Une juvénilité d’irresponsables, autant par rapport à la vie des autres que vis-à-vis de la leur, croyant dans les contes de diables et de fées. Sans doute est-ce là que le film résonne le plus avec la réalité, quand on connaît l’âge, et aussi la crédulité mortifère, de beaucoup de ceux qui commettent des attentats.
Dépolitisé, mais aussi dénué de tout message édifiant, sur la « radicalisation » par exemple, Nocturama dévoile la part d’ombre et de dénuement d’une jeunesse d’aujourd’hui. Il le fait porté par un ensemble de comédiens déjà vus ou que l’on découvre à cette occasion (Finnegan Oldfield, Hamza Meziani, Manal Issa, Martin Guyot, Jamil McCraven, Rabah Naït Oufella…). Tous sont très convaincants, sans doute parce qu’ils ne se sont pas sentis si étrangers à leurs personnages. Ce qui témoigne aussi de notre époque déboussolée.
Nocturama, Bertrand Bonello, 2 h 10.