« Petit pays », de Gaël Faye : La guerre à hauteur de gamin
Petit Pays, premier roman de Gaël Faye, raconte une enfance dans le Burundi et le Rwanda des années 1990.
dans l’hebdo N° 1416 Acheter ce numéro
Pour son entrée en littérature, Gaël Faye n’a pas choisi la facilité. Comme beaucoup de premiers romanciers, il a puisé dans ses années d’enfance. Mais il a grandi au cœur d’une histoire tragique, celle du Burundi et du Rwanda. Un contexte qui réservait de nombreux pièges d’écriture, tous évités. Petit Pays a pour narrateur Gabriel, dit Gaby, 10 ans au début des années 1990. Il vit dans la capitale du Burundi, à Bujumbura, avec ses parents, qui ne s’entendent plus et vont bientôt se séparer : son père, un Français satisfait de ses affaires dans ce pays ; sa mère, une Rwandaise exilée, mais qui rêve, dit-elle, de pouvoir élever ses enfants hors de ces régions, à l’abri des violences.
Les propos de la mère de Gaby annoncent les malheurs à venir. Au Rwanda, avec le génocide que l’on sait, mais aussi au Burundi, qui connut simultanément une guerre fratricide. Gaël Faye entraîne son petit personnage dans ces terribles soubresauts en restant à sa hauteur, avec le ton juste du gamin joueur et joyeux, ne comprenant pas tout des événements, mais à la sensibilité aiguisée. Les autres personnages ont aussi une existence très forte. Qu’il s’agisse de Donatien, le -Zaïrois bachelier, pénétré de valeurs chrétiennes, qui travaille comme chef des chantiers du père de Gaby, de Mme Economopoulos, une dame solitaire et accueillante chez qui le garçon prendra goût à la lecture, ou des copains de celui-ci, avec qui il forme une bande qu’il croit indissociable, dont Gino, l’aîné du groupe, le plus intrépide et aussi le plus fragile.
On est frappé par la tenue de ce roman, qui évite autant le voyeurisme que les émotions débordantes ou consensuelles, trop souvent inhérentes aux narrateurs enfants, surtout quand ceux-ci sont plongés dans un drame. La construction est tout aussi intelligente, dans le choix notamment de ne pas se trouver au centre du génocide rwandais, mais d’en approcher la tragédie de biais. En outre, bien que restant dans la fiction, Petit Pays n’est pas dénué d’une vision politique des événements, ce qui ajoute à sa richesse. Un premier roman décidément très réussi signé par un auteur–compositeur-interprète de rap, qui a aussi le sens de la langue : « Les soûlards, au cabaret, ils causent, s’écoutent, décapsulent des bières et des pensées. Ce sont des âmes interchangeables, des voix sans bouche, des battements de cœur désordonnés. À ces heures pâles de la nuit, les hommes disparaissent, il ne reste que le pays, qui se parle à lui-même. »