Photojournalisme : un objectif de vérité
Outre les expositions attendues sur des sujets d’actualité, le festival Visa pour l’image, à Perpignan, présente des reportages originaux.
dans l’hebdo N° 1417 Acheter ce numéro
La guerre en Syrie, l’État islamique et le drame des migrants ont marqué l’année 2015 et le premier semestre 2016. Cette 28e édition de Visa pour l’image ne pouvait échapper à cette actualité. Tel est le cas avec les travaux de Yannis Behrakis, qui a suivi pendant plus de vingt-cinq ans les réfugiés et les déplacements de populations dans les Balkans et en Afrique, avant de voir arriver les migrants dans son pays natal. Cette fois, le drame se vit à sa porte, sur les côtes grecques, dont il témoigne avec un objectif emporté au cœur de la tragédie.
Livrant les conditions de vie de plusieurs familles à Sinjar, au Kurdistan, ou dans les environs de Mossoul, sous le joug de Daech, le travail de Frédéric Lafargue fait également partie de ces expositions pleinement inscrites dans la -vocation de Visa pour l’image, temple du photojournalisme, à Perpignan, avec cette année vingt-deux expositions au programme, dans différents sites historiques de la ville. Mais il en est d’autres qui se distinguent par des sujets moins attendus.
C’est le cas de Claire Allard, attachée aux techniciens du spectacle, les « hommes de l’ombre », saisis justement en noir et blanc, au plus près des corps, toujours en mouvement. Un type en panta-court perché sur une structure métallique, un technicien lumière installant un câblage, un autre au son, pivotant dans l’exiguïté de sa régie, un opérateur lumière attelé à réparer des projecteurs en urgence, un autre encore aux raccordements.
Claire Allard ne montre aucune image d’aucun spectacle. Foin d’artistes. Seuls des ouvriers, des porteurs d’eau de la scène, des techniciens arc-boutés sur la besogne, aux métiers souvent méconnus : poursuiteur, designer lumière, stagehand, backliner, tous plongés dans les fils électriques, les sonos, les échafaudages, confondus dans la matière, des anonymes passant leur temps à monter, démonter, régler, ajuster, « des couteaux suisses du spectacle », selon l’expression d’un technicien polyvalent. Peu de légendes, mais on y sent la fragilité et la précision des métiers, on perçoit les mêmes gestes répétés, des heures d’affilée.
La photographe le dit ouvertement : elle a voulu rendre hommage « à tous ces techniciens qui restent derrière le rideau pendant que nous applaudissons nos artistes préférés », à ces intermittents qui luttent pour maintenir leurs droits et leur statut, trop souvent perçus « comme de grands enfants capricieux et trop gâtés ». Dans ce sens, cette exposition à Visa, au milieu des actualités brûlantes et tragiques, n’est pas un hasard.
Tourné vers le quotidien des institutions russes pour adultes handicapés mentaux et physiques, le travail photographique d’Anastasia Rudenko n’est pas moins original. En 2013, selon les statistiques officielles, 1 354 institutions abritaient plus de 150 000 patients. Dans ces asiles, les plus démunis, ceux qui ont déjà vécu en orphelinat et qui n’ont pas eu la chance de bénéficier d’un logement social, connaissent un retard intellectuel en raison d’une rééducation inadaptée. C’est affaire de diagnostic. Environ 70 % des patients internés sont tout simplement de faible intelligence. Difficile de savoir combien d’entre eux doivent être là, ou pas.
La photographe s’est plongée dans ce dédale et ce fourbi à la fois humain et institutionnel, attrapant des bribes de quotidien : des activités sportives, manuelles ou culturelles ; un dortoir ; la commémoration de la victoire soviétique contre -l’Allemagne nazie ; une salle de classe et ses cours d’art plastique ; des aires de promenades solitaires ; une cellule d’isolement pour les patients les plus agités ; des pensionnaires hébétés devant un télé-crochet…
En extérieur ou en intérieur, ce sont là des couleurs chaudes, acidulées, au diapason des établissements. Du rose fuchsia, du jaune citron, des verts pétaradants. À l’instar de ces robes à fleurs que portent les vieilles patientes, dans un monde clos, jusque dans son parc, entre le cimetière aux tombes abandonnées et le champ de betteraves.
Anastasia Rudenko ne cadre pas froidement cette cosmogonie tantôt tragique, tantôt comique, mais avec une empathie discrète et sereine, sachant qu’on ne lui laisse photographier que ce que l’on veut bien, au gré des autorisations. C’est facile à compter : sur quarante demandes, elle a reçu moins de dix permissions.
Visa pour l’image, Perpignan, jusqu’au 11 septembre. www.visapourlimage.com