RTT et plein-emploi ou revenu universel ?
Plus de travail pour les uns, l’illusion de la liberté pour les autres.
dans l’hebdo N° 1416 Acheter ce numéro
Les néolibéraux ont encore marqué des points en imposant la loi « anti-travail ». Celle-ci affaiblira les travailleurs face aux employeurs faisant passer le droit des « bonnes affaires » avant le droit du travail. C’est dans ce contexte où le chômage reste très élevé, où la précarité s’étend et où la libéralisation dudit marché du travail est au programme de tous les gouvernements en place ou potentiels que la controverse sur le travail, l’emploi et le partage des revenus doit être comprise.
J’ai déjà dit ici que les partisans du revenu universel méconnaissent la place du travail dans la société en tant que facteur d’intégration et de reconnaissance formant une dialectique indissociable avec son caractère aliénant. Ils ignorent aussi qu’il est la seule source de valeur économique [^1]. Regardons seulement un point particulier : celui de l’alternative entre la réduction du temps de travail (RTT) pour atteindre le plein-emploi et le revenu universel.
L’idée que l’heure de la fin du travail serait arrivée pour l’humanité, que le plein-emploi serait désormais inatteignable et qu’il faudrait remplacer le travail par l’activité est directement tirée des cercles néolibéraux de l’OCDE et, en France, des rapports Boissonnat et Minc dans les années 1980-1990 pour laisser filer le chômage.
Le chômage n’est pas dû aux gains de productivité du travail que procurent les ordinateurs et les robots : au contraire, ces gains s’amenuisent depuis quarante ans. Il est dû à la pratique capitaliste qui consiste à donner la priorité aux actionnaires, renforcée par les politiques néolibérales (comme la loi « anti-travail » !). Donc croire que le plein-emploi est terminé, c’est croire à l’éternité du capitalisme.
Ici intervient l’enjeu de la RTT. Les partisans du revenu universel affirment y adhérer. Mais celle qu’ils proposent, c’est, selon leurs propres termes, la « sortie de l’emploi » laissée à la volonté de chacun dès lors qu’il perçoit un revenu inconditionnel. Quelle est la différence avec le « partage » néolibéral du travail fondé sur le temps partiel subi, l’exclusion et la privation des garanties du salariat ? On la cherche. Le risque est donc de renvoyer les problèmes sociaux à la sphère individuelle : d’un côté, plus de travail pour les uns ; pour les autres, l’illusion de la liberté, notamment en incitant les femmes à retourner au foyer.
D’où viendrait la valeur représentée par un revenu universel ? Du travail effectué dans un cadre socialement validé, comme tout transfert social. Dès lors, il n’y a pas d’autre possibilité que de réduire le temps de travail pour tous afin que chacun puisse accéder à l’intégralité des sphères de la société, et donc à toutes les sphères de la production monétaire – marchande ou non-marchande. Et l’illusion que chacun produit automatiquement de la valeur par le fait qu’il crée des valeurs d’usage est encore la marque de l’idéologie économique libérale, laquelle s’est toujours attachée à nier la double réalité du travail : c’est un fait social, et c’est pour cela qu’il est la seule source de la valeur au sens économique. Rien à voir avec l’activité libre à laquelle je m’adonne en jouant aux cartes avec mes amis. Ah, peut-être que si je cherchais en groupe des Pokémons…
[^1] Voir http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/travail/index-travail.html
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.