À bout de souffle

Hicham Lasri filme un Maroc surréaliste peuplé d’étranges marginaux.

Anaïs Heluin  • 28 septembre 2016 abonnés
À bout de souffle
© Photo : DR

Autour de Tarik, la vie s’étiole. Plus un sourire, plus un corps capable de résister à l’inertie ambiante. L’eau courante est touchée par un bug qui génère de gros pixels sur l’écran et assoiffe les habitants. L’apocalypse de The Sea is behind emprunte à bien des genres. Auteur d’un roman de science-fiction, Static (2010), et du roman graphique Vaudoo, paru cette année, le Marocain Hicham Lasri nourrit ses films expérimentaux d’une vaste culture populaire. Dans une lenteur et un désespoir à la Béla Tarr, il déploie dans son dernier long métrage une narration aux fragments hypnotiques où une galerie de marginaux se jouent du temps et de la géographie.

Avec sa moustache mal taillée, ses cheveux en bataille, sa manière de se déguiser en femme et de danser sur une carriole, Tarik n’a l’air ni d’hier ni d’aujourd’hui. La cité qu’il traverse de son pas traînant ressemble à une ville arabe contemporaine, mais observée par un œil réfractaire aux marques de la modernité. Dans un beau noir et blanc rehaussé à quelques reprises de touches de couleur, les déambulations de Tarik parmi d’autres errants sont d’un onirisme troublant et d’autant plus précieux que le cinéma maghrébin s’aventure encore peu hors des sentiers du réalisme.

Sur une musique tantôt électro, tantôt traditionnelle, une alternance de plans fixes et de travellings tremblants nous fait pénétrer dans l’étrangeté du personnage central, rejeté pour sa prétendue homosexualité. Un sujet tabou au Maroc, qu’Hicham Lasri aborde d’une tout autre manière -qu’Abdellah Taïa dans L’Armée du salut (2013), fiction initiatique et autofictive sur l’éveil d’un jeune homme à sa différence sexuelle.

Tarik s’échappe par le rêve et non par le discours. Il lui arrive de se prendre pour Tariq ibn Ziyad, conquérant omeyyade de la péninsule ibérique au VIIIe siècle. Dans sa folie, il est une identité multiple qui s’érige contre l’uniformité imposée.

The Sea is behind, Hicham Lasri, 1 h 28.

Cinéma
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