Et si l’Allemagne quittait l’Euro ?
Joseph Stiglitz livre un réquisitoire contre la monnaie unique et esquisse des options pour en sortir.
dans l’hebdo N° 1418 Acheter ce numéro
La charge est violente pour les tenants de la monnaie unique. Ces « fondamentalistes du marché » qui perpétuent aveuglément les préceptes néolibéraux malgré leur échec patent. Le prix Nobel d’économie d’influence keynésienne Joseph Stiglitz prend d’abord soin de rappeler son statut de penseur « mainstream ». De Georges Papandréou, l’ancien Premier ministre grec, à l’administration Clinton en passant par la Banque mondiale, le chantre de la relance a délivré ses vues aux grands de ce monde. Il développe ensuite une sentence sans appel pour l’Europe de Maastricht.
Le postulat selon lequel l’Euro créerait de la croissance ne tenait pas compte des fortes disparités économiques au sein du Vieux Continent, juge-t-il. « Arrimés » à un euro fort, les pays victimes de la crise n’ont plus la possibilité de dévaluer leur monnaie pour alléger le poids de leur dette ou relancer leurs exportations. L’Euro a également été, selon l’économiste, une des causes de la crise. Car « l’Euro-euphorie » a fait massivement affluer les capitaux vers des pays fragiles lorsque la monnaie unique a été mise en circulation. Les capitaux ont été retirés tout aussi brutalement au premier signe de faiblesse, faisant éclater la bulle immobilière espagnole ou provoquant la crise de la dette en Grèce.
Joseph Stiglitz explicite également les non-dits du projet européen. Pour compenser les déséquilibres entre les nations, les défenseurs de la monnaie unique ont tout misé sur la théorie de la « dévaluation interne » : faire baisser les salaires (et donc le « coût du travail ») fait baisser les prix et, ainsi, repartir la croissance. En clair : les salaires doivent baisser pour que la croissance reparte. Voilà pourquoi l’Europe impose partout le détricotage du droit du travail et l’affaiblissement des syndicats.
L’auteur démontre aussi longuement l’inefficacité de l’austérité, dogme imposé aux pays de la zone euro au nom de la convergence des économies. Ce « fétichisme du déficit » a retardé la reprise de l’économie, juge l’économiste américain.
Joseph Stiglitz esquisse enfin plusieurs issues pour « sortir l’Europe du gué » : la création d’un « euro flexible », avec des taux de change différents d’un pays à l’autre, permettrait de redonner de l’air aux pays du Sud, le temps que les disparités entre les nations se réduisent. Autre option, « plus simple et moins coûteuse » : faire sortir l’Allemagne pour permettre une réorientation de la politique monétaire vers les intérêts des pays du Sud. Mais une meilleure solution serait, selon lui, d’accélérer la cohésion politique du continent, de donner à l’UE un budget et des « stabilisateurs automatiques qui augmentent les dépenses [notamment de protection sociale] quand un pays est confronté à une récession ». Un inventaire qui tombe à point nommé à quelques mois des élections générales en France et en Allemagne.