Notre hypothèse de travail est donc que Macron, loin d’être le traître qu’on se plait à décrire, est toujours fidèle à son mentor. On va voir que, dans la bataille qui s’engage, l’action de l’ancien ministre de l’économie fournira un apport décisif à la campagne de François Hollande, jusqu’à permettre sa réélection.
Nous avons vu combien le camp solférinien était divisé et que l’empoignade régulée par Cambadélis dans le cadre de sa « primaire comique » devait logiquement désigner le président sortant comme champion.
Mais qu’en est-il à droite, dans cette droite qui s’assume comme telle (à la différence de notre fausse gauche encore au pouvoir pour quelques mois) ? Là aussi les prétendants sont nombreux et la mêlée, à peine engagée, promet du sang sur les murs.
Qui peut sortir en tête de cette primaire du camp libéral-conservateur où s’ébroue comme un beau diable un ancien président de la République aspirant à le redevenir (alors même qu’il avait promis qu’on n’entendrait plus parler de lui), qui doit affronter pour y parvenir pas moins de deux anciens Premiers ministres (dont le sien, son « collaborateur » durant cinq ans) et quelques autres personnalités qui n’entendent pas jouer les utilités ?
Sur une dizaine de concurrents, trois hommes émergent du lot —Juppé, Fillon et Le Maire —, le premier nommé faisant la course en tête, selon des sondages qu’on se gardera bien de prendre, aussi loin du but, pour argent comptant. Avec Sarkozy, donc, cela nous fait quatre prétendants. L’un d’eux affrontera Hollande au premier tour de la présidentielle. Avec toutes les chances de battre Marine Le Pen au second, et donc de s’installer (ou se réinstaller) à L’Elysée.
(On notera qu’à l’instar de tous mes confrères, je place d’office la cheffe du FN en incontournable concurrente du tour décisif, et probable vaincue au terme de l’épreuve : mais sait-on jamais ? On notera aussi qu’elle sera la seule femme de cette élection que les professionnels mâles auront su verrouiller comme jamais à leur seul profit, on n’est pas là pour rigoler !)
Et il est temps de placer notre Macron quelque part dans le tableau.
Il s’est lancé dans la bataille seul contre tous, flamberge au vent, comme sorti tout droit du Puy-du-Fou. Mais qu’espères-tu donc, preux chevalier ? Je l’ai dit : l’homme n’est point assez fol pour compter l’emporter cette fois-ci, il escompte que son tour viendra la prochaine fois. En attendant, et tout en engrangeant expérience et soutiens pour la campagne de… 2022, il va jouer un rôle perturbateur non négligeable dans celle de 2017. Comme dirait Chevènement : il va faire « turbuler le système »…
Dans quel sens et au profit de qui ?
Le côté charmeur du personnage, sa jeunesse et son intrépidité, son positionnement ni droite-ni gauche, clairement libéral, avec un zeste de préoccupation sociale (juste ce qui faut pour montrer qu’on n’est pas un suceur de sang du pauvre monde …) font du bel Emmanuel un candidat capable de piquer des voix à peu près partout.
« Il n’a pas de programme ! », grognent les gens sérieux. Il en aura un bientôt, n’en doutez pas, les « think-tanks » du social-libéralisme sont là pour ça. Et surtout : où avez-vous vu qu’on gagne une présidentielle sur un programme ? Le look, coco, le look ! Le look et la com !
Et maintenant, posons-nous deux questions : que redoute François Hollande et qui souhaite-t-il affronter (je rappelle que je me suis situé dans l’hypothèse osée d’un Macron de mèche avec le Président sortant et candidat à sa réélection) ?
François Hollande redoute, sur sa gauche, un Mélenchon qu’il méprise profondément mais ne sous-estime pas : le talent de tribun de l’ ex-leader du Front de gauche n’est plus à démontrer ; s’il finit par rallier les communistes (nul doute que la chefferie solférinienne s’emploie à fond pour les en dissuader) et alors même qu’on lui attribue déjà un score à deux chiffres en début de campagne, l’homme pourrait bien lui barrer la route du second tour : horribile dictu !.
Il redoute aussi, sur sa droite, de devoir affronter Juppé. Le papy bordelais caracole en tête dans son camp, même si rien n’est joué. Il se situe suffisamment au centre pour que Bayrou ou tout autre grenouille du même marais soient dissuadés de se lancer. Face à lui, la défaite est presque assurée et se profile déjà le spectre d’un nouveau 21 avril : horresco referens !
« Père, gardez-vous à gauche, gardez-vous à droite ! »
Ce que souhaite Hollande de toutes ses forces, c’est de rejouer le match avec Sarkozy. Et de le vaincre à nouveau. Ensuite, le second tour contre Marine Le Pen ne sera plus qu’une formalité.
« Bats-toi, vaillant Macron ! Que ton épée flamboie au service de ton maître et seigneur ! »
De fait, Macron candidat ratissera large et partout : un peu à gauche chez Mélenchon le grognon, qu’il ringardise un peu avec son enthousiasme juvénile, parmi les moins politisés de son électorat (les militants formés ne s’y laisseront pas prendre) ; beaucoup à droite et au centre, chez Juppé et les autres. Partout sauf chez Sarkozy : l’enthousiasme que suscite l’agité du bocal relève du phénomène sectaire.
Macron se bat pour lui, pour les échéances à venir. Sa candidature sert Hollande, pour l’échéance en cours.
Je conclus donc, en quatre lettres : CQFD.
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