Journal de rentrée

Vivant sa première semaine en tant que titulaire dans un collège REP + de Seine-Saint-Denis, Lana, 25 ans, professeure d’anglais, retrace ses impressions jour après jour.

Politis  • 14 septembre 2016 abonné·es
Journal de rentrée
© Photo : XAVIER LEOTY/AFP.

Depuis l’avant-veille de cette rentrée scolaire 2016, Lana, jeune professeure d’anglais néo-titulaire, tient un journal de bord sur Politis.fr. Son témoignage sur ses premiers jours dans un collège « violence » de Seine-Saint-Denis dédiabolise et dédramatise l’enseignement et les réseaux d’éducation prioritaire. Il donne à voir comment se construit la confiance en soi et avec les élèves. Extraits.

Mardi 30 août

Réunion « violence »

Tous les nouveaux titulaires de l’académie de Créteil intégrant un établissement « Rep [^1] », « Rep + [^2] » ou « violence » étaient réunis à Créteil. Des enseignants sont venus témoigner de leur arrivée en (ex-)« zone d’éducation prioritaire » (ZEP). Ils nous ont raconté des anecdotes, leurs peurs et la manière dont ils avaient été rassurés petit à petit vis-à-vis des élèves. J’ai été reçue au Capes en 2015 et j’ai fait ma première année en tant qu’enseignante stagiaire dans un établissement anciennement ZEP. Je me suis déjà demandé : « Comment dois-je m’habiller en classe ? » Une collègue a planifié de porter ses lunettes dès le deuxième jour pour ne pas créer « d’événement » le jour où elle déciderait de les mettre. J’ai pris la même décision concernant les robes : dès le début. Mais « neutres ». Chaque détail compte devant les élèves : ils remarquent tout ! La discipline est apparue comme une priorité. Les quatre inspecteurs nous ont rassurés : « Du moment que les élèves apprennent quelque chose avec vous, c’est bon. »

Mercredi 31 août

Un bel accueil

Prérentrée dans mon nouveau collège. Un établissement récent avec des résultats en hausse au brevet. Il est classé Rep + parce que la majorité des élèves viennent de milieux sociaux défavorisés, voire de zones urbaines sensibles. Il monte plein de projets avec des associations de son quartier et expérimente une classe de 6e sans notes. J’aurai trois 6e, dont celle-ci, et deux 4e. Soit 18 heures de cours. Une heure et demie en heures sup’ et une heure et demie de concertation avec les autres enseignants. On est quatorze nouveaux. On a été super bien accueillis. Le principal a affiché deux priorités : maintenir la hausse des résultats au brevet et l’égalité filles-garçons. Même au brevet professionnel, elles sont largement au-dessus maintenant ! Il n’a pas parlé de violence mais d’enfants « fragiles » en mettant l’accent sur le fait qu’ils décrochent plus vite. Les trois CPE nous ont demandé de limiter les exclusions au maximum, parce qu’après ça tourne à la compet’. Quel comportement adopter face à un élève qui s’énerve ? Le mieux, c’est d’harmoniser les pratiques. Notre temps de concertation du mardi doit servir à ça. J’ai passé un temps à découvrir les listes d’élèves… Ma vraie première journée sera lundi.

Jeudi 1er septembre

Comment être le premier jour ?

Aujourd’hui, je n’ai fait qu’ouvrir ma pochette de documents administratifs, dont le règlement du collège et le fonctionnement des fiches de colle ou de retard. L’année dernière, je n’étais tellement pas au fait que je devais demander aux élèves. Ça faisait « la prof qui ne sait pas ». Cette année, pas question, je maîtrise ! Il me reste à préparer mes cours « minute par minute »… Depuis le Capes, on nous a appris à imaginer le dialogue, phrase par phrase, que l’on va avoir avec les élèves. Anticiper toutes les questions possibles… J’aimerais mettre l’accent sur la discipline dès le début. Il faut aussi faire attention à être juste de la même manière avec tous. Je vais établir des petites règles telles que : entrer en silence dans la classe. L’année dernière, je les laissais chuchoter, ça n’était pas une bonne idée. Ma priorité, alors, c’était qu’ils trouvent du plaisir en cours, qu’ils trouvent l’anglais fun et qu’ils n’aient pas l’impression d’apprendre. Pas sûre que ce soit une bonne solution. Je travaille avec un manuel axé sur la méthode actionnelle. Fini les illustrations pour enfants ! On travaille sur des documents authentiques : billets de train ou menus de restaurant. Savoir se débrouiller dans la vie, c’est le but de la réforme du collège.

Vendredi 2 septembre

La discipline, quelle discipline ?

On n’a pas parlé d’enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) encore. En juin, j’avais été vaguement affectée à un thème dont personne ne voulait, autour de la machine à vapeur… Je préférerais quelque chose qui croiserait histoire, histoire des arts ou arts plastiques avec l’anglais. Autour de l’évolution de la mode, ou l’histoire du mouvement punk ? J’aime bien l’idée de transversalité. Et, pour les élèves, croiser les matières peut aider quand on a des difficultés dans l’une d’entre elles.

Les heures d’accompagnement personnalisé (AP), je comprends ça comme de la pédagogie différenciée : « Toi, tu as du mal, je vais t’aider plus », et « toi, tu es bon, donc je vais t’aider à aller plus loin ». L’idée, c’est de s’adapter aux capacités et aux limites de chacun. Mais comment faire en classe entière ? Même à 25 ? Personne ne nous a jamais enseigné une technique pour la discipline. Je regrette… J’ai été très chahutée quand j’étais stagiaire, surtout par une classe de 3e difficile. Ils n’ont jamais été agressifs ni insultants, mais ils n’étaient pas réceptifs, et j’avais du mal à marquer la différence entre eux et moi. […] Cette année, il faut que je sente que l’espace est le mien… Que dans la classe, c’est moi le patron.

Dimanche 4 septembre

le stress de la veille

Il faut que tout soit carré. C’est surtout la première impression qui compte. Je vais mettre une robe bleu marine. Sur ma fiche, j’ai écrit : « Demander si… » Par exemple : « … toutes les façons de dire bonjour. » Même les 6e ont déjà fait de l’anglais en élémentaire. Ce ne seront que des révisions. Pour voir où ils en sont. […] Je vais m’écrire des répliques exactes. Et refaire un minutage précis. Pour les 4e, je voudrais reprendre très doucement, pour ne pas qu’ils paniquent. Je voudrais qu’ils puissent se dire : « Ah oui, l’anglais, c’est plutôt facile. » Et après on augmentera les difficultés. Cette nuit, je risque de peu dormir.

Lundi 5 septembre

« Elle est trop gentille… »

Vivante ! J’ai quand même bien mal commencé en oubliant mes clés de salle ! J’avais peur des 4e avec qui je débutais la journée. Mais ils ont été très sympas. Les 6e, l’heure suivante, étaient très bavards. J’ai trouvé difficile de reprendre « une voix forte ». […] J’ai repéré un élève qui était réticent même à dire bonjour. Il en a visiblement contre l’institution. Il m’a demandé d’entrée de jeu : « Ça veut dire quoi : “Fuck you bitch” ? » Je lui ai conseillé de vérifier chez lui. Pure provoc’… Ce qui m’a atteinte, en revanche, c’est que la classe de 4e soit sortie en disant aux 6e dans le couloir : « Elle est trop gentille… » Je n’ai donc pas tenu mes objectifs. Mauvais augure ? Si je suis la seule à être gentille, c’est que les autres profs sont trop bien !

Mardi 6 septembre

Ne pas avoir peur du « 9-3 »

Cet après-midi, visite du quartier organisée par un ancien professeur de maths. On est allés se balader vers le coin qui « craignait » encore il y a peu, et où l’on peut voir maintenant des élèves jouer et faire du vélo tranquillement. Ils nous ont salués. Il y a encore de vieux bâtiments et des maisons qui ont beaucoup de charme. Problème : une large partie du quartier va accueillir de nouvelles habitations et il n’y a pas encore d’autre collège que le nôtre. Beaucoup d’enfants sont déjà envoyés dans un établissement qui les oblige à un long trajet dans des bus qui sont parfois tellement bondés qu’ils ne s’arrêtent plus. Le but de cette visite : que les profs voient dans quel environnement leurs élèves vivent. Et que les élèves réalisent que leurs profs ne font pas que travailler et repartir, et que ça n’est pas parce qu’eux viennent du 9-3 qu’ils font peur.

Mercredi 8 septembre

La photocopieuse m’a lâchée

7 h 40. Cinq collègues font la queue devant la photocopieuse. 7 h 45, elle s’arrête ! Panique ! On fait comment sans photocopieuse ? 8 h 10, les petits 6e découvrent la salle, il s’agit en fait de la salle d’espagnol. Je n’ai pas eu le temps de décorer et d’y ajouter des éléments anglophones. […] Après avoir répondu aux plusieurs “Madame, on va faire de l’espagnol avec vous ?”, je me rends compte que l’ordinateur ne fonctionne pas. Je ne peux pas projeter l’image qui était censée servir de support de discussion à ce cours. Ni passer le fichier audio qui l’accompagne. Il va falloir improviser. « Aujourd’hui, nous allons travailler autour de la manière de se présenter. » Demain, je prendrai mon ordinateur portable.

  • Le prénom a été modifié.

[^1] Réseau d’éducation prioritaire.

[^2] Réseau d’éducation prioritaire renforcé

Société
Temps de lecture : 8 minutes

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