La loi travail a-t-elle un avenir ?

Malgré la promulgation du texte et l’essoufflement probable des manifestations, la bataille continue sur le terrain juridique et par l’action syndicale, entreprise par entreprise.

Erwan Manac'h  • 14 septembre 2016 abonné·es
La loi travail a-t-elle un avenir ?
© Photo : Carly Triballeau/AFP.

En pleine tempête, le gouvernement a choisi de mettre les pleins gaz. La loi travail promulguée le 8 août doit être suivie, d’ici à la fin de l’année, par la publication de 141 décrets d’application, selon l’échéancier publié par le cabinet du ministre. Un travail colossal pour des services déjà surchargés, dans un délai qui paraît intenable.

Cette accélération devrait ouvrir le second acte de la mobilisation contre la loi travail : la guérilla juridique. Hormis deux égratignures, le texte est passé sans blocage devant le Conseil constitutionnel (présidé par Laurent Fabius). Les décrets d’application devraient eux aussi passer comme une lettre à la poste devant le Conseil d’État, car la chambre sociale de l’organe est présidée par un certain Jean-Denis Combrexelle, haut fonctionnaire et champion de longévité à la direction générale du Travail. C’est lui qui a rédigé le rapport pour la réécriture du code du travail, qui donnait le coup d’envoi, il y a un an presque jour pour jour, de la loi travail. C’est encore lui qui préside le Haut-Conseil du dialogue social, instance qui doit être associée à la réécriture complète du code du (lire ci-contre). Un sacré cumulard.

Mais les opposants à la loi ont d’autres cartes à jouer. Ils croient davantage dans l’indépendance de la Cour de cassation, la plus haute juridiction française, qui pourra être amenée à se prononcer sur le texte au regard des traités internationaux. La stratégie est donc d’attendre l’application de la loi et de poursuivre, dès le premier litige, les entreprises devant le tribunal des prud’hommes.

Selon Emmanuel Dockès, professeur de droit du travail à l’université Paris-Ouest-Nanterre, deux arguments semblent « fondés et très solides intellectuellement », au regard des conventions de l’Organisation internationale du -travail (OIT).

En premier lieu, selon la loi travail, les conventions collectives de chaque métier ne peuvent plus contraindre les entreprises, en matière de temps de travail. Or l’OIT reconnaît la liberté de négociation dans le cadre des branches. Et c’est une atteinte à la liberté de négociation que d’interdire aux branches de négocier des conventions collectives qui s’imposent aux entreprises.

Une autre faille pourrait se situer dans les articles sur le licenciement des salariés qui créent des justifications automatiques, abstraites, pour les licenciements économiques. Ce qui contrevient à la convention de l’OIT qui exige que les licenciements soient réellement justifiés.

Ces deux points de la loi El Khomri seront rapidement applicables. Les litiges pourraient donc se manifester rapidement. Il faudra ensuite attendre plusieurs mois, voire des années, pour les voir aboutir devant la Cour de cassation. « Il arrive que, sur des questions aussi politiques, les juridictions accélèrent les dossiers », observe toutefois Emmanuel Dockès. Et il existe un précédent de taille. Le « contrat nouvelle embauche », qui permettait à l’employeur de licencier sans motif pendant deux ans, a été enterré en 2008 après trois ans de bagarre devant les tribunaux. La Cour de cassation confirmait l’analyse des cours d’appel, estimant qu’il contrevenait à la convention n° 158 de l’OIT.

Cette bataille juridique est une priorité pour Force ouvrière. Le syndicat devrait cesser d’appeler à manifester après la 13e journée de mobilisation, ce jeudi 15 septembre, mais il se dit prêt à « accompagner des salariés devant la Cour de cassation ». Il ne faut pourtant pas se bercer d’illusions. « Tout cela reste assez aléatoire et risque de ne pas aboutir, nuance Pierre Khalfa, de la Fondation Copernic. Nous devons tenter tout ce qui est possible. »

Les esprits restent donc à la mobilisation générale, y compris dans la rue. Le bras de fer devrait néanmoins changer de forme. Entreprise par entreprise, la bataille devra être menée sur chacun des accords d’entreprise dits « offensifs ». « L’objectif, affirmait Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT lors d’un meeting unitaire à Nantes le 7 septembre, c’est que la loi travail ne s’applique pas. »

À compter du 1er janvier 2017, des accords pourront être adoptés s’ils sont paraphés par des syndicats représentant 50 % des suffrages exprimés lors des élections professionnelles, contre 30 % actuellement. Mais il n’est pas certain que nous assistions à une déferlante d’accords d’entreprise. La possibilité de déroger à la loi par accord d’entreprise existe déjà dans certaines conditions, et beaucoup d’entreprises, notamment les plus petites, n’ont pas voulu ou pas pu les exploiter. C’est le cas avec la loi Macron sur le travail du dimanche. Les salariés ont réussi à lui faire barrage dans plus d’une entreprise.

Il faut donc s’attendre à une multiplication et à un durcissement des luttes sociales. Ce risque est malheureusement traité avec la plus grande fermeté par l’exécutif et la justice. Le 6 septembre, le secrétaire fédéral des Jeunes Communistes de la Loire, syndicaliste CGT, était condamné à huit mois de prison avec sursis et 3 850 euros d’amende pour « violence contre sept agents de police », le 12 mai. Au total, plus de 750 personnes ont été poursuivies dans toute la France depuis le début de la contestation de la loi travail, selon un décompte du ministère de la Justice à la mi-juin.

La rentrée judiciaire s’annonce aussi particulièrement chargée. Les autonomes du « Defcoll », pour « défense collective », ont dénombré pour la seule ville de Paris des procès tous les jours du 20 au 24 septembre au tribunal de grande instance. « Il s’agit de renvois ou d’appels, car le parquet a très souvent fait appel des relaxes obtenues par les manifestants », écrit le collectif. Suivront les quinze cégétistes de « l’affaire de la chemise » d’Air France les 27 et 28 septembre, le procès en appel des huit de Goodyear le 19 octobre et la comparution de deux dockers havrais le 25 novembre, devant le tribunal correctionnel de Paris.

Sur ces dossiers comme sur le nœud du problème – la dérégulation progressive du droit du travail –, le principal combat demeure politique. C’est la conviction de Sophie Binet, secrétaire générale adjointe de la CGT, qui se dit certaine « que la loi travail ne sera jamais appliquée avant la présidentielle », ce qui laisse un peu de temps au débat d’idées. Emmanuel Dockès et 16 juristes du Groupe de recherche pour un autre code du travail espèrent d’ailleurs faire entendre leurs contre-propositions. Ils ont entamé leur propre travail de réécriture du code du travail pour garantir les droits de salariés. « Nous devrions aboutir à un texte au moins 5 fois plus court que le code actuel », note l’universitaire, qui espère conclure ses travaux cet hiver. Encore faut-il que les questions sociales ne soient pas éclipsées par la déferlante identitaire et sécuritaire.

Politique Travail
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