« La voiture est souvent un besoin »

Pour le sociologue Yoann Demoli, la prise de conscience écologique ne se traduit pas dans les faits au sein des ménages.

Vanina Delmas  • 28 septembre 2016 abonné·es
« La voiture est souvent un besoin »
© Photo : JOCHEN ECKEL / picture alliance / DPA / AFP

La voiture reste un objet de consommation populaire. Yoann Demoli, membre de l’Observatoire sociologique du changement, s’est appuyé sur des enquêtes nationales de l’Insee pour décrypter les usages des Français. Selon lui, c’est aussi un miroir des clivages sociaux.

Estimez-vous que les Français consomment de moins en moins d’automobiles ?

Yoann Demoli : Depuis les années 1960, nous constatons plutôt une hausse des équipements et même une tendance à avoir plusieurs voitures. En 1967, 20 % des ménages avaient une voiture, aujourd’hui ils sont 82 %. L’accès à l’automobile s’est démocratisé. Si je devais forcer un peu le trait, je dirais que l’avenir de la voiture est plutôt devant nous que derrière. Il y a peut-être un changement des mentalités, mais il ne se traduit pas dans les faits.

Les arguments écologiques très présents ces dernières années n’ont pas pesé dans le changement des mentalités ?

On est écolo quand on peut l’être. Le rôle des contraintes ne doit pas être minimisé. Geneviève Pruvost, sociologue au CNRS, a beaucoup étudié les « fondamentalistes » de la conversion écologique, et elle s’est aperçue que la seule chose avec laquelle ils n’arrivaient pas à rompre était la voiture. Elle leur est indispensable car ils vivent souvent dans des zones rurales isolées, en outre, ils possèdent souvent de vieilles voitures diesel qui polluent terriblement.

Le rôle de l’automobile dans l’espace public est-il un enjeu politique récent en France ?

Jusqu’à la fin des années 1960, la politique française du « tout-voiture » était nette, notamment avec la construction des autoroutes. On garde d’ailleurs en tête l’image d’Épinal du président Pompidou dans sa Porsche. Considérer la voiture comme un problème est assez consensuel. C’est même un double problème public puisque c’est dangereux sur le plan environnemental et du point de vue de l’accidentologie. Le sujet de la sécurité routière est un problème pour tous les gouvernements, de gauche comme de droite. Il ne faut pas croire que ces préoccupations sont récentes : elles remontent au moins aux années 1970 en France, et même avant aux États-Unis.

Diminuer la place de la voiture, développer la piétonnisation des centres-villes, mettre l’accent sur les transports en commun… La volonté de certaines municipalités peut-elle conduire à une stratification sociale ?

Pour la plupart des gens, la voiture est un besoin. Par exemple, une aide à domicile qui doit visiter six personnes par jour en région parisienne sera obligée de prendre son véhicule. Quand on travaille de nuit ou en équipe, les transports en commun ne sont pas pratiques. Et les catégories sociales les plus contraintes par leurs rythmes de travail sont majoritairement les catégories les plus populaires qui peuvent difficilement profiter des transports en commun. Ou alors cela est très coûteux en temps.

Et la différence s’accentue à la campagne…

Les espaces ruraux et périphériques sont les oubliés de la politique alter-automobile. Le covoiturage avec BlaBlaCar, Autolib’, Uber… tout cela fonctionne dans des lieux à forte densité. Mais si j’habite un petit village, je ne trouverai jamais de covoiturage car cela nécessite une coïncidence des désirs. Les populations rurales sont souvent obligées d’avoir une voiture, voire plusieurs par ménage. Par ailleurs, passer le permis reste une priorité chez les jeunes. Même si on observe un décalage dans le temps lorsqu’ils ont fait des études dans des grandes villes, ils finissent par le passer.

Nous dirigeons-nous quand même vers la fin de l’hégémonie de la voiture comme propriété privée ?

Là aussi, le facteur social joue beaucoup. Pierre Bourdieu disait que les personnes ayant plus de capital économique que culturel n’hésitaient pas à exposer leurs biens. Pour certaines catégories sociales, avoir une grosse voiture est encore un signe de distinction, alors que pour d’autres, c’est plutôt avoir une mentalité de « beauf ». Si je regarde qui dépense beaucoup pour sa voiture, je constate que chez les jeunes hommes des classes populaires, le pourcentage de leur budget dédié à l’auto est très important. Il y a aussi un effet de générations et de richesses. Jusque dans les années 1970, on se faisait remarquer en possédant une voiture. Puis, avec la diffusion et la banalisation de cet achat, il fallait en avoir une deuxième pour se distinguer. Petit à petit, les enjeux se sont concentrés sur la marque et les modèles. Prenons l’exemple du 4X4. Les propriétaires ont souvent un capital économique assez fort mais ils habitent aussi à la campagne, donc leur rapport à l’espace est complètement différent. Ce sont surtout des distinctions symboliques.

Yoann Demoli Maître de conférences à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.

Écologie
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