Le don de Claude-Jean Philippe
Ce passeur hors pair est décédé dimanche à 83 ans.
dans l’hebdo N° 1419 Acheter ce numéro
Peu de temps après l’annonce de la mort de Claude-Jean Philippe, décédé dimanche à 83 ans, les témoignages de reconnaissance ont afflué sur les réseaux sociaux. Toutes ces personnes disaient combien « Le Ciné-club », qu’il a animé sur Antenne 2 puis France 2 de 1971 à 1994, avait contribué à leur faire découvrir le cinéma dans sa diversité et à leur en transmettre la passion.
Je suis de ceux qui ont bénéficié des bons offices de ce passeur hors pair, qui apparaissait, lunettes sur le front, à la fin d’« Apostrophes » face à un Bernard Pivot goguenard, pour cinq minutes de présentation du film à venir, entre éclats de rire brefs et enthousiasme sérieux.
C’était l’époque où le service public, avec « Le Ciné-club » sur la 2 et « Le Cinéma de minuit » de Patrick Brion sur la 3, palliait pour les provinciaux l’absence d’une cinémathèque et prolongeait les ciné-clubs alors périclitants. Claude-Jean Philippe a initié l’adolescent que j’étais à des univers lointains et à des formes cinématographiques pour moi inédites. Je me souviens de mon émerveillement devant La Trilogie d’Apu, de Satyajit Ray, La Voie lactée, de Buñuel, France tour détour deux enfants, où une petite fille géniale rivalise d’esprit avec le réalisateur-intervieweur, Jean-Luc Godard.
À la même époque, fin des années 1970, j’ai eu la chance de découvrir par hasard son émission « Le Cinéma des cinéastes », sur France Culture. Là, j’ai entendu dans la voix de Claude-Jean Philippe la jubilation de vivre en pensant à travers les œuvres de cinéma et le plaisir inouï de mettre en avant l’intelligence de ses invités.
« Le Cinéma des cinéastes », avec son générique chanté sur un poème d’Apollinaire au charme candide, était un formidable moment de radio : parmi tant de souvenirs, je garde en mémoire la voix claire d’Éric Rohmer parlant de son livre Le Goût de la beauté, les silences de Leos Carax, répondant aux questions en diffusant des chansons qu’il avait enregistrées sur un magnétophone, ou les élans théoriques de Caroline Champetier, qui, avec Pierre Donnadieu, prêtait régulièrement main-forte à Claude-Jean Philippe. Je ne peux songer à celui qui vient de s’éteindre sans d’abord ressentir l’importance qu’il a eue dans mon existence de cinéphile – autrement dit, dans ma vie tout court.
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