« Le sport, formidable vecteur pour changer le regard sur le handicap »
Plus de cent heures de retransmission par FranceTV à Rio : les Jeux paralympiques (7-18 septembre) n’avaient jamais eu droit à une telle couverture en France. Pour Jean Minier, directeur technique national de la Fédération française handisport, ce progrès doit permettre de faire évoluer les mentalités face au handicap mais aussi de reconsidérer la valeur de la performance.
Une telle couverture télévisée pour les Jeux paralympiques, et sur le service public, c’est une grande nouveauté. Comment en est-on arrivé là, enfin ?
Jean Minier : Le mouvement s’est amorcé, dans les autres pays, à partir de l’édition de Sydney en 2000, la première fois que les Jeux paralympiques connaissaient une réalisation télévisée, et sur presque tous les sites sportifs. Mais le virage s’est véritablement opéré lors des Jeux paralympiques de Londres en 2012. Les Anglais ont montré le chemin, en mettant d’énormes moyens sur la réalisation des compétitions avec une diffusion internationale très conséquente.C’est une sorte de retour aux sources historiques du handisport, puisque c’est en 1948, dans un hôpital de la banlieue nord de Londres, qu’un médecin a l’idée de proposer des activités sportives à des blessés de guerre anglais paraplégiques. Une réussite, parce que cela donne un sens à la rééducation des personnes, pour une vie future, en contribuant à leur réhabilitation sociale.
En 2012, FranceTV a raté le coche, son dispositif de retransmission a été très limité, et la direction l’a reconnu. Il faut dire que les réseaux sociaux l’ont bien fait sentir, d’autant plus que l’athlète française Marie-Amélie Le Fur a été l’une des icônes de ces Jeux !
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Correction en 2014, avec une couverture des Jeux paralympiques d’hiver de Sotchi plus satisfaisante. Et en 2016, FranceTV a mis d’importants moyens en branle… mais très peu sur la réalisation. Si bien que nous sommes dépendants des images filmées par les Brésiliens, dont la réalisation n’est pas à la hauteur : certains sports se sont pas filmés, une seule table retransmise pour le ping-pong, etc.
Les organisateurs ont d’ailleurs failli annuler ces Jeux, faute de moyens…
J.M. : Un petit coup de bluff, certainement. Mais la réalité, c’est que pour couvrir le coût monstrueux des Jeux olympiques d’août, qui a explosé, il a été prélevé une partie des fonds prévus pour les épreuves paralympiques.
Qu’est-ce qu’une telle médiatisation peut apporter à la société ?
J.M. : Nous bataillons depuis très longtemps pour faire évoluer les mentalités à l’égard des non-valides, dont les gens peuvent avoir peur, redouter leur étrangeté, etc. Et le sport est un formidable moyen pour le faire. Ce n’est pas en « creux » qu’ils apparaissent, avec des déficiences, mais en « plein », sur le versant de leurs performances. Nous montrons leurs compétences, qui sont parfois époustouflantes.
La diffusion d’images de sports pratiqués par des personnes handicapées est un vecteur particulièrement intéressant. Après les Jeux paralympiques de Londres, un tiers des Anglais ont déclaré avoir changé leur regard sur eux. La compétition est non seulement l’occasion de montrer des performances réalisées par des personnes invalides, mais aussi de leur donner la parole, lors d’entretiens, de paroles d’experts, sur les plateaux télévisés, etc.
L’esprit et la fraîcheur de ces Jeux paralympiques tranchent avec le sport valide de haut niveau. Ces compétitions offrent-elles une autre vision de la performance, à rebours des références absolues du chronomètre et du mètre ?
J.M. : C’est un vrai défi, central : comment faire apprécier le côté relatif de la performance de ces sportifs. Dans certaines catégories, le record du monde de saut en longueur ne dépasse pas 3 mètres ! Il faut donc confronter en permanence ces exploits à la réalité du handicap des personnes. À défaut, il faudrait se contenter des incroyables sauts de l’Allemand Markus Rehm, amputé d’un tibia mais qui, avec ses 8,40 mètres en longueur, pourrait disputer l’or aux valides lors des Jeux olympiques, ou bien des sprinteurs non-voyants qui descendent sous les 11 secondes au 100 mètres.
Et la bataille se complique quand il s’agit de faire apprécier, par la télévision, les performances des sportifs très desservis par leur apparence, comme c’est le cas avec des personnes atteintes de grandes infirmité motrices cérébrales.
La télévision a provoqué la modification des règles, dans plusieurs sports, afin de les rendre plus « télégéniques », selon ses critères. Le risque guette-t-il, dans le handisport ?
J.M. : Il est parfois très explicite quand certaines compétitions perdent de leur suspens, lorsqu’un concurrent caracole loin devant tous les autres. Mais faudrait-il s’empêcher de montrer ces épreuves ?
On voit bien qu’il existe une pression visant notamment à réduire le nombre de catégories et de classifications, établies finement en fonction du type de handicap et de son degré de sévérité. Si elles n’existaient pas, on verrait de très nombreux sportifs exclus des compétitions.
Dans le monde du handicap, la singularité est la norme, et c’est un grand défi que de tenter de classifier ces singularités, dans le but de neutraliser au mieux des différences de capacités dont les gens ne sont pas responsables. Ces classifications sont d’ailleurs le sujet de discussions permanentes, et en évolution régulière.
Alors, nous résistons pour ne pas céder aux sirènes de la médiatisation, dont on voit bien que la tendance à la simplification des compétitions conduirait immanquablement à ne plus protéger les personnes affectées par les handicaps les plus lourds. Jusqu’ici nous tenons, dans les compromis.
On voit de même croître l’intérêt pour le sport féminin. Sort-on enfin de la sur-valorisation du sportif mâle et valide ?
J.M. : Le sport n’est pas une bulle déconnectée des réalités de notre monde. Il faut espérer que l’on progressera dans la valorisation d’autres vertus que la seule célébration du record absolu. Mettre en avant une variété de critères de performance, dans le sport, contribuerait à une société plus ouverte et plus tolérante envers la diversité.
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