Sanctionner les crimes écologiques
La CPI poursuivra les crimes liés à l’exploitation illicite de la nature.
dans l’hebdo N° 1421 Acheter ce numéro
C’est l’une des bonnes nouvelles de la rentrée : la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé le 15 septembre dernier qu’elle poursuivrait pour crimes contre l’humanité les crimes liés à « l’exploitation illicite des ressources naturelles, à l’appropriation illicite de terres et à la destruction de l’environnement ». C’est une énorme victoire pour les associations et les ONG telles que Global Witness ou End Ecocide on Earth, mais surtout pour les droits humains et les droits de la nature.
Une victoire, entre autres, pour les communautés qui sont menacées d’expulsion dans le monde entier afin que leurs terres et forêts soient vendues ou concédées à des multinationales, en particulier celles de l’agrobusiness et des industries extractives. Pour la directrice de Global Witness, « l’âge de l’impunité arrive à sa fin. Les dirigeants d’entreprises et les politiciens complices de l’expropriation de terres, de la destruction des forêts tropicales ou de la pollution de sources d’eau pourraient bientôt se trouver assignés en justice à La Haye, aux côtés de criminels de guerre et de dictateurs ».
Cette victoire ne signifie pourtant pas la fin des mobilisations pour ce droit à consolider. Dans ce nouveau contexte beaucoup moins favorable pour elles, on peut être sûr que les multinationales, avec l’appui de certains États complices, mobiliseront des escouades d’avocats pour nier avoir porté « gravement » atteinte à l’environnement, pour mettre en avant leurs contributions au « développement », pour peindre en vert leurs projets, pour prétendre que leurs destructions sont « compensées », etc. Vous ne le saviez sans doute pas, mais il paraît que le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou celui d’Auchan/EuropaCity dans le triangle de Gonesse sont super écolos, en plus d’être de fantastiques gisements d’emplois…
Il faudra toujours des mobilisations fortes de la société civile pour instruire les dossiers à charge et faire entrer ce droit en émergence dans les faits, les décisions et les sanctions. Sans ces dernières, et seulement si elles sont très lourdes, les multinationales pourraient bien se contenter de payer des amendes très inférieures aux profits engrangés. Mais ce qui semblait hors d’atteinte il y a quelques mois devient désormais possible, sinon probable. L’avancée est bien majeure.
Pour en savoir plus sur ces nouveaux droits « pour la Terre », ce qui nous oblige en tant qu’Occidentaux à un gros travail de « décentrement culturel », il faut lire l’ouvrage collectif publié il y a quelques jours aux Éditions Utopia (une bien belle collection de livres pour penser un autre monde) et intitulé Des droits pour la nature (200 p., 10 euros). Il rassemble les contributions très éclairantes de dix-sept spécialistes, militantes et militants de cette cause, venus de pays et d’horizons disciplinaires variés. Il est préfacé par Valérie Cabanes. On attend la sortie imminente, le 6 octobre, d’un livre de fond de cette dernière aux Éditions du Seuil : Un nouveau droit pour la Terre (préface de Dominique Bourg).
Jean Gadrey Professeur émérite à l’université Lille-I.
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.