Sécurité : « Il faut repenser le travail de la réinsertion »
Pour être réellement efficace, la lutte antiterroriste doit combiner le répressif et l’éducatif, explique Laurence Blisson, du Syndicat de la magistrature.
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Comment mieux se protéger contre le terrorisme ? Laurence Blisson estime que la réponse sécuritaire a des effets pervers et qu’il faut mettre en œuvre de nouveaux moyens de lutte contre le terrorisme.
On entend beaucoup, à gauche, des critiques contre la réponse sécuritaire au terrorisme, mais peu de réflexions sur la manière dont on pourrait améliorer réellement la sécurité. Pourquoi, selon vous ?
Laurence Blisson : La difficulté, c’est qu’on a trop souvent tendance à poser la question de la lutte contre le terrorisme en termes de législation. On se focalise sur les pouvoirs de la police et les peines encourues, comme si c’était la répression qui allait faire cesser un phénomène criminel. Or, ce qu’on sait dans d’autres domaines, c’est que la réponse pénale est nécessaire, mais qu’elle n’est pas, et de loin, la seule manière de lutter contre des actes criminels : ce n’est pas parce qu’on accentuera la répression contre le viol et le meurtre qu’on les fera disparaître.
C’est tout le problème de la fuite en avant des législations sécuritaires : non seulement elles ne permettent pas de s’attaquer aux sources du problème, mais elles risquent d’aggraver la situation. Par exemple, certains dispositifs dits de « déradicalisation », en entraînant une -stigmatisation ou une assignation identitaire des personnes qui y sont soumises, peuvent avoir l’effet inverse et « radicaliser » plus encore. À un autre niveau, l’attention toujours plus forte portée aux personnes musulmanes pour « détecter » la radicalisation peut avoir pour effet d’alimenter le discours des organisations terroristes selon lesquelles les États occidentaux opprimeraient les musulmans.
La réponse sécuritaire alimente donc le mal qu’elle prétend éradiquer…
Oui, cela arrive. Un certain nombre de dispositifs sécuritaires peuvent effectivement avoir des effets pervers. Prenons les contrôles d’identité, dont le champ a été étendu par des lois anti-terroristes afin de permettre des contrôles généralisés, quel que soit le comportement des personnes. Inefficaces sur le plan de la répression du terrorisme, ils entretiennent un sentiment de stigmatisation : des études ont montré que les personnes noires ou arabes avaient jusqu’à huit fois plus de chances d’être contrôlées. Mises bout à bout, ces pratiques sont susceptibles de nourrir un discours de rupture avec la société.
À l’inverse, on peut affirmer que, plus on est dans une société pacifiée et égalitaire, moins on crée un terreau fertile pour Daech ou d’autres organisations terroristes. C’est pourquoi améliorer le maillage scolaire et social renforce notre capacité à résister collectivement au discours des terroristes.
Mais au-delà de la prévention, sur le traitement des actes criminels terroristes en soi, comment faire ?
Il faut refuser une conception de la peine qui soit du registre de l’élimination et ne pas -considérer que, parce qu’il s’agit d’affaires de terrorisme, nous serions dans un régime de pénalité distinct. Même en matière de terrorisme, on doit rester dans l’humanisme pénal. Cela veut dire que toute personne doit être considérée dans sa capacité à évoluer, et que tout le travail judiciaire et pénitentiaire consistera à œuvrer au retour progressif de ces personnes dans la société.
Mettre en œuvre des mesures qui relèvent de la dimension éducative et de la réinsertion est un travail complexe et de long terme, auquel il ne faut surtout pas renoncer. Ce travail est d’autant plus pertinent que, concernant les terroristes de Daech, nous avons souvent affaire à des personnes jeunes, qui ont des personnalités en construction… Il faut donc apporter une réponse qui soit à la fois répressive et éducative.
Mais comment faire passer l’idée qu’il faut investir davantage dans la prise en charge des terroristes, alors qu’il n’y a pas d’argent pour traiter dignement les prisonniers de droit commun ?
En disant haut et fort que c’est aussi une question de protection de la société, l’un des objectifs assignés à la peine. D’ailleurs, les personnes incarcérées le sont en général pour association de malfaiteurs, elles ne sont pas passées à l’acte, ce qui implique un emprisonnement de quelques années. Les questions posées par le terrorisme aujourd’hui doivent nous pousser à repenser le travail de la réinsertion en général.
Que faire des personnes qui ont la nationalité française et qui vont revenir de Syrie une fois la guerre finie ?
L’attention policière et judiciaire face à ces retours est légitime. Il faut que l’on arrive – et je reconnais que ce sera compliqué – à distinguer les situations relevant de l’incarcération immédiate, sans pour autant tomber dans l’emprisonnement systématique. À ce moment-là, l’institution judiciaire devra veiller à ce que soient identifiés des éléments concrets pour priver une personne de liberté.
Comment être entendu quand seul le discours sécuritaire semble audible ?
C’est difficile, car nous sommes vite caricaturés, traités de laxistes… Et puis nous sommes confrontés à un problème très complexe auquel il faut répondre de manière pluri-disciplinaire, alors que la sphère politique propose des solutions simplistes et immédiates – peu ou prou, l’enfermement indéfini – qui ne sont ni conformes à l’État de droit ni efficaces pour protéger la société à long terme.
Aujourd’hui, il faut avancer sur des alternatives susceptibles de fonctionner, et beaucoup de personnes sont impliquées dans ces réflexions. Nous devons cependant accepter le fait que le problème n’aura pas de solution immédiate et évidente, et qu’il ne se réglera pas par décret. On tâtonne.
A-t-on avancé pour améliorer les renseignements ?
La loi sur le renseignement n’a pas réglé la question de savoir à quel moment on judiciarise ou non une affaire. Elle n’a pas donné de visibilité à la justice sur ce qui se passe en amont, sur la procédure de renseignement, et si celle-ci est conforme au texte. Ce qu’on entend, en revanche, c’est que la succession des attentats a conduit les services à judiciariser les affaires un peu plus rapidement, parce que la judiciarisation est la condition de la privation de la liberté (ce n’est donc pas tant par un souci de justice que par un souci d’action). Cela dit, il faut rester vigilant et ne pas tomber dans une justice « de précaution ». C’est un risque lorsque plus des trois quarts des personnes mises en examen le sont pour association de malfaiteurs. Réprimer, oui, mais sur des bases claires, des actes imputables aux personnes, et non pas seulement sur des potentialités.
Laurence Blisson Secrétaire générale du Syndicat de la magistrature