À Gennevilliers, les habitants s’opposent à la démolition de leurs tours

Les projets de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) provoquent rarement de remous. Mais dans cette ville populaire des Hauts-de-Seine, les habitants se mobilisent contre la destruction de centaines de logements.

Vanina Delmas  • 11 octobre 2016 abonné·es
À Gennevilliers, les habitants s’opposent à la démolition de leurs tours
© Crédit illustration : mairie de GennevilliersnPhoto texte : Vanina Delmas.

Marc vit à Gennevilliers « depuis toujours ». Il a posé un pied dans la tour 5 des Agnettes en 1983 et ne l’a plus jamais quittée. La journée, il distribue la publicité dans les boîtes aux lettres du quartier. Autant dire qu’il est incollable sur ces bâtiments et leurs habitants. « Studio, T1, T2… Je suis passé par tous les logements de la tour, raconte-t-il avec une certaine fierté. Depuis environ un an, j’entendais parler de la réhabilitation du quartier alors je n’imaginais même pas qu’ils puissent détruire les tours, cela m’a bouleversé. »

Le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU ou ANRU 2) pour la période 2014-2024 a de grands projets pour la ville de Gennevilliers. Mais ni la mairie, ni les habitants ne les approuvent. « Nous voulons qu’ils respectent le projet tel que nous l’avons conçu avec les habitants, déclare Patrice Leclerc, le maire PCF-Front de gauche de cette ville de la banlieue nord de Paris. Il n’est pas souhaitable que deux studios se transforment en un seul logement. » L’objet principal de la discorde est imposant : cinq tours de treize étages, soit 500 logements.

© Politis

Depuis 2011, les habitants, les élus et un cabinet d’expert travaillent sur un projet de requalification des Agnettes qui met la priorité sur l’ouverture du quartier grâce à la démolition partielle de l’immeuble Victor-Hugo, la réhabilitation des logements déjà existants, l’accession à la propriété et la nécessité de développer l’agriculture urbaine, notamment en accueillant l’association AgroCité, expulsée de la ville voisine de Colombes.

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« Nous avons accepté la percée sur Victor Hugo car ce bâtiment ferme le quartier mais sous condition du financement du logement social car nous tenons beaucoup aux petits loyers aux Agnettes », souligne Carole Lafon, adjointe municipale au Logement.

Si l’ANRU a bel et bien tenu compte de ces travaux, elle envisage aussi de démolir les tours, au nom de la diversification sociale car ce quartier est composé à 98% de HLM. Dans un courrier daté du 19 septembre, l’agence nationale détaille le projet de renouvellement urbain de ce « quartier d’enjeu national » :

Si la pérennité à long terme des tours n’est pas garantie, les partenaires entendent les enjeux de relogement et les capacités de l’OPH [office public de l’habitat, NDLR] à mener les opérations dans la période à venir. Ils considèrent donc, dans le cadre d’un projet de transformation urbaine cohérent maximisant les opportunités foncières et les logiques de diversification, la possibilité du maintien d’une ou deux tours pouvant faire l’objet de travaux d’amélioration.

« Trop de personnes vivent là depuis des années, c’est impossible pour eux de partir. Et si cela arrive, où vont-ils les mettre ? », lâche Soulef, militante Front de gauche, voisine du quartier. Car l’idée qui prime est de reloger ces familles dans les villes voisines, ce que refuse le maire de Gennevilliers Patrice Leclerc. « Qui peut croire que les maires d’Asnières, Bois Colombes, Colombes, Clichy relogeront en priorité des Gennevillois alors qu’ils doivent faire face à leurs propres demandeurs de logements sociaux en attente dans leur ville ? », lance-t-il. Conséquence directe d’un tel scénario : l’allongement les délais d’attente des demandeurs de logements sociaux sur le territoire concerné.

Après deux réunions publiques les 7 et 27 septembre à l’hôtel de ville, une centaine de personnes s’est rendue au siège de l’ANRU, à deux pas de la tour Montparnasse à Paris. Peu habitués à manifester, les riverains du quartier des Agnettes ont lancé timidement quelques slogans, mais surtout, une délégation de cinq représentants a été reçue par le directeur adjoint de l’agence qui ont profité de l’occasion pour lui déposer la pétition signée par 900 personnes.

Locataire depuis 20 ans dans une des tours, Alodie vit désormais toute seule, depuis que ses enfants ont quitté le nid familial et n’ose même pas imaginer son futur ailleurs. Elle espère beaucoup du dialogue entamé avec l’agence et n’ose pas imaginer le pire scénario. « Je me sens bien dans mon quartier, je n’ai pas du tout envie d’aller ailleurs », glisse-t-elle sereinement, avant de reprendre le métro vers Gennevilliers. Certains de ses voisins, beaucoup moins calmes, considèrent ces annonces de l’ANRU comme une provocation, et mettent également en cause la métropole du Grand Paris. « L’arrivée d’une nouvelle ligne de métro est forcément une bonne chose mais il faut que ça nous profite aussi, pas seulement aux nouveaux arrivants, clame un habitant des Agnettes. Encore une fois, on veut exclure, nous, les classes populaires. »

Société
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