De la difficulté à définir le populisme
La quête de sens du politologue Jan-Werner Müller vaut plus par son mouvement que par sa fin.
dans l’hebdo N° 1423 Acheter ce numéro
C’est une brûlante et redoutable question qui s’affiche en couverture du dernier essai du politologue allemand Jan-Werner Müller : « Qu’est-ce que le populisme ? » On l’entend comme une promesse d’élucidation alors que le mot envahit ad nauseam discours et commentaires politiques. À vrai dire, on n’est pas sûr d’avoir une réponse très claire en refermant ce livre, par ailleurs riche d’une utile réflexion. Le concept – qui n’en est peut-être pas un (et c’est bien le problème !) – est interrogé, scruté, malaxé, trituré sans que l’auteur parvienne jamais à en délivrer véritablement le sens.
Cette quête n’est pas nouvelle. Elle taraudait déjà des sociologues dans les années 1960, explique Müller. Mais, aujourd’hui, Le Pen, Trump, Orban, Grillo, pour ne citer qu’eux, sont aux portes du pouvoir, quand ils n’y ont pas déjà accédé. Nous les qualifions empiriquement de « populistes », alors que la notion reste dans l’indéfinition. Sans doute parce qu’elle souffre d’un « étirement conceptuel », comme le dit Müller. Une caractéristique qui permet d’intégrer au club aussi bien un fasciste comme feu l’Autrichien Jörg Haider, le néolibéral argentin Carlos Menem et même, selon Müller, les Indignés espagnols de Podemos.
Ce n’est plus de l’étirement, c’est de l’écartèlement. On y retrouve tous ceux « qui pestent contre ceux d’en haut », dit-il. Ce qui peut faire beaucoup de monde. Tout de même, Müller resserre son sujet. Les populistes sont ceux qui revendiquent un monopole de la représentation populaire. Ceux qui « construisent la figure du laissé-pour-compte comme acteur politique » et s’écrient : « Nous sommes le peuple ! » Or, affirme Müller, faire du peuple un « sujet collectif », évidemment « hostile aux élites », est fondamentalement « anti-pluraliste ».
Nous y voilà : le « populiste » est avant tout l’ennemi de la démocratie, laquelle « encadre institutionnellement » la conflictualité. Oui, mais que se passe-t-il lorsque l’impératif budgétaire ruine toute alternative ? Lorsque l’expertocratie (les « élites », sans doute) nous assène qu’il n’y a pas d’alternative au néolibéralisme ?
C’est cette situation, bien actuelle, que décrit la politologue belge Chantal Mouffe, vigoureusement prise à partie par Müller. Selon elle, « c’est avant tout le consensus néolibéral qui a engendré le populisme ». C’est peut-être ici l’impensé du livre de Müller, ou son trop peu pensé, car il effleure la question : le péril anti-pluraliste vient d’abord du néolibéralisme et de la désagrégation de la notion de mandat. Il en résulte un désarroi qui peut produire parfois le meilleur, et plus souvent le pire. Or, il n’est pas aisé de mettre le meilleur et le pire sur la même ligne du dictionnaire, et cela sans considération d’un véritable contenu politique et social.
Qu’est-ce que le populisme ?, Jan-Werner Müller, Premier Parallèle, 190 p., 18 euros.