« Moi, Daniel Blake », de Ken Loach : Une société malade du cœur
Moi, Daniel Blake, de Ken Loach, révèle les aberrations administratives des aides sociales en Angleterre.
dans l’hebdo N° 1425 Acheter ce numéro
Au vu des autres films en compétition à Cannes, la palme décernée à Moi, Daniel Blake est apparue bien déphasée. S’agissait-il, de la part du jury, d’adresser avant tout un message de nature politique ? Mais Toni Erdmann ou Aquarius, pour ne citer que ces deux films exclus du palmarès, lui auraient tout autant permis de le faire en consacrant des films qui recelaient beaucoup plus de cinéma. Oublions donc la compétition et les honneurs qui accompagnent ce vingt-cinquième long-métrage de Ken Loach, et considérons-le pour ce qu’il est.
Menuisier employé dans une entreprise de Newcastle, Daniel Blake (Dave Johns) est en arrêt maladie après un infarctus. Mais un contrôle médical de nature administrative, à partir d’un questionnaire et sans consultation, le déclare apte et le met dans l’obligation de chercher du travail sous peine de sanction. En butte à de semblables aberrations de l’administration, Rachel (Hayley Squires), jeune mère de deux enfants, a dû accepter un relogement très loin de Londres, où elle habitait. Leur rencontre a lieu dans un « job center » où, devant la manière dont Rachel est maltraitée, Daniel se révolte et décide de l’aider.
Le moins que l’on puisse dire est que Moi, Daniel Blake ne s’embarrasse pas de subtilités de scénario. Conçus à partir de nombreux témoignages de personnes en difficulté, les personnages sont d’un bloc, et l’histoire que leur a réservée Paul Laverty, le scénariste complice de Ken Loach, use de ficelles qui frisent parfois l’indigence – comme ce papier portant un numéro de téléphone compromettant, abandonné dans les escaliers chez Rachel, sur lequel tombe Daniel.
Outre la dénonciation d’un système administratif dont l’objectif est de soustraire aux aides sociales ceux qui se découragent, Moi, Daniel Blake semble surtout se justifier par quelques scènes poignantes, mélodramatiques, comme celle qui se déroule dans une banque alimentaire. C’est là que Loach reste impeccable : nul voyeurisme ici, quand d’autres pourraient y succomber. Mais une scène à la Dickens, sans gros plan, où la faim est filmée à distance, comme l’humiliation qui ravage Rachel après qu’elle a brusquement absorbé le contenu d’une boîte de conserve. Ces moments rappellent que Loach a pu réaliser des films intensément dramatiques et politiques, comme Ladybird (1994). Moi, Daniel Blake se situe davantage dans la veine de My Name is Joe (1998) : en mode mineur.
Moi, Daniel Blake, Ken Loach, 1 h 37.