Présidentielle : Et si Hollande n’y allait pas ?
L’actuel président pourrait-il ne pas se représenter en 2017 ? L’hypothèse, désormais plausible, rebattrait les cartes d’un jeu que l’on croyait verrouillé.
dans l’hebdo N° 1423 Acheter ce numéro
Jusqu’ici, les jeux étaient faits. Cinq ans après 2012, Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen et bien sûr François Hollande reviendraient jouer le match retour à la présidentielle de 2017. Le même casting pour un mauvais scénario… Mais voilà que la machine déraille. L’outsider ancien ministre Emmanuel Macron est sur le point de déclarer sa candidature – fin octobre, dit-on. Et Alain Juppé pourrait l’emporter à la primaire de la droite en novembre. Comme par un effet dominos, les certitudes vacillent dans la majorité.
Et si François Hollande jetait l’éponge pour 2017 ? Farfelue il y a encore quelques mois, l’hypothèse semble aujourd’hui plausible. Probable, même. Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, le Président sortant, que 85 % des Français ne souhaitent pas voir se représenter, pourrait renoncer à briguer un second mandat. Partout, la petite musique s’installe. Au point que, dans les QG des candidats à la primaire socialiste, on commence à « envisager » la possibilité d’infléchir, si besoin, sa stratégie de campagne.
Cet été, déjà, l’adversaire de l’aile gauche, Arnaud Montebourg, ne semblait plus vraiment commettre un crime de lèse-majesté quand, de Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire), il intimait au chef de l’État de « prendre la décision qui s’impose » pour éviter « un 21 avril puissance 20 ». La semaine dernière, c’était au tour de Manuel Valls lui-même de réunir ses soutiens à Matignon, au cas où. « Si j’étais à la place du Président aujourd’hui… », lançait le Premier ministre, comme un lapsus révélateur, sur LCI, le 2 octobre.
Indice supplémentaire que l’hypothèse est prise très au sérieux, le patron de Solférino, Jean-Christophe Cambadélis, en est réduit aux arguments d’autorité pour supplier le Président de se déclarer candidat à la primaire du PS avant le 15 décembre. Il « ne peut pas faire autrement », c’est « sa responsabilité devant l’histoire », « si Hollande n’y va pas, le PS explose », martelait-il dans Le Journal du dimanche début octobre. Avant de lui promettre « une primaire cathartique, [qui lui permettra de se] débarrasser de son bilan ».
Mantra
Le bilan, voilà bien le problème. Une croissance atone, un chômage qui, en dépit de toutes les petites manœuvres statistiques, continue de flamber… Il fallait s’en douter : le serment originel, répété comme un mantra tout au long du quinquennat, de ne se représenter que si « la courbe du chômage s’inverse » est devenu le plus gros boulet de François Hollande. Ses velléités sur la déchéance de nationalité puis le mauvais coup de la loi travail ont fini de dégoûter même les moins gauchistes de ses soutiens. « S’il avait trahi mais qu’il avait un bon bilan, ou s’il avait un mauvais bilan mais qu’il n’avait pas trahi, passe encore, estime le politologue Thomas Guénolé [^1]. Mais là, il est cuit. »
Et seul. Aux côtés du Président, il n’y a plus guère que Marisol Touraine, Stéphane Le Foll et quelques improbables fidèles à se prévaloir d’initiatives en sa faveur. Des événements qui tiennent moins de l’éclatant soutien que du coup de sonde feutré. Comme l’organisation d’une réunion publique dans un gymnase de Cachan (Hauts-de-Seine), lundi dernier, ou l’ouverture, le 27 septembre, d’un site Web rassemblant pour l’instant bien peu d’adeptes [^2].
« Depuis la rentrée, François Hollande fait feu de tout bois, il s’affiche partout, se rend frénétiquement à la plupart des conférences auxquelles il est invité, je n’ai jamais vu ça. Et pourtant… l’encéphalogramme reste désespérément plat », constate Pascal Perrineau, du Cevipof.Les mauvais sondages s’accumulent, certains plaçant dorénavant le Président à la 5e place à l’issue du premier tour [^3]. « Vous l’imaginez arriver derrière Macron et Mélenchon ? Ce serait une humiliation terrible », ajoute le politologue, qui rappelle que les deux sortants battus à la présidentielle – Valéry -Giscard -d’Estaing en 1981 et Nicolas Sarkozy en 2012 – l’ont été au second tour.
Des arguments massue ? Pour tout autre que François Hollande, sans doute. Mais pour celui qui a développé une croyance tenace (on peut le comprendre) dans sa bonne étoile, rien n’est joué. « Hollande est dans le déni, il pense toujours que les choses vont s’arranger, il ira jusqu’au bout », avance Éric Coquerel, coordinateur du Parti de gauche, qui pense même que le chef de l’État finira par gagner la primaire. « Ce n’est pas quelqu’un qui remet en cause les institutions, il va donc se plier à l’usage du président “homme providentiel” qui ne saurait déchoir et qui sollicite la reconduction », parie également Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à l’université Lille-II.
« Il n’a certes aucun orgueil, aucun rapport à l’histoire, reconnaît Laurent Baumel, directeur de campagne d’Arnaud Montebourg, mais il n’échappera pas à la pression intense de ses camarades, qui vont lui seriner qu’il ne peut pas prendre la responsabilité de faire perdre la gauche. » Quant à son conformisme supposé, Thomas Guénolé rappelle qu’en 2008, voyant qu’il allait échouer à sa réélection à la tête du PS, François Hollande s’était finalement résigné à soutenir Bertrand Delanoë.
Plan B
Huit ans plus tard, rebelote ? Celui qui, dit-on, n’écoute que lui-même, a annoncé qu’il prendrait sa décision au mois de décembre, pas avant. Histoire d’appréhender le rapport de force avec celui qui serait son concurrent à droite. Mais aussi de se laisser le temps d’imaginer un « plan B ». Une échappatoire qui permettrait à l’ancien premier secrétaire (1997-2008) de pouvoir s’en sortir à peu près dignement, sans être accusé d’avoir fait exploser le parti. « La situation est paradoxale au PS, indique Rémi Lefebvre. Beaucoup pensent que Hollande est un mauvais candidat mais qu’il n’y a pas de solution de rechange ou que sa candidature est préférable au chaos, et beaucoup de députés veulent sauver les meubles, le parti ou leur mandat… »
« Si Valls est candidat à la primaire à la place de Hollande, il y aura une grande explication idéologique qui pourrait coûter son existence au PS », ajoute un responsable de l’aile gauche, qui prédit que Manuel Valls refusera de se ranger derrière Arnaud -Montebourg si celui-ci gagne la primaire.
Car c’est là toute l’ironie de l’histoire : celui qui a répété qu’il ne sera pas « candidat pour perdre » ferait paradoxalement beaucoup d’heureux à se déclarer plutôt qu’à se retirer. À droite, Alain Juppé ou Nicolas Sarkozy préféreraient croiser le fer avec un président sortant démonétisé plutôt qu’avec son remplaçant. Un successeur qui, dans la logique des institutions de la Ve République, ne pourrait être que le Premier ministre, Manuel Valls. « Le mauvais bilan colle à la peau de Hollande, mais Valls est plus frais et peut s’en extraire, au moins en partie », juge Thomas Guénolé.
À gauche, les proches d’Arnaud Montebourg ne l’avouent pas, mais ils se méfient eux aussi davantage de l’ancien maire d’Évry. Lequel est, selon plusieurs sondages, donné gagnant à la primaire socialiste, à l’inverse du président sortant [^4]. « Même si, dans tous les cas, le duel sera serré, Montebourg a plus de risques de perdre contre Valls que contre Hollande, affirme Pascal Perrineau. Le premier irrite, mais le second irrite et indiffère ». Soitdu pain bénit pour un candidat comme le haut en couleur Arnaud Montebourg.
Meilleur ennemi
Autre désavantage pour la gauche du PS, le Premier ministre offre moins de « prise » symbolique que le locataire de l’Élysée : « Si Hollande ne se présente pas à la primaire, la dimension référendaire “anti-Hollande” aura moins d’impact », concède Laurent Baumel. L’argument tient aussi, en partie, pour les partisans de Jean-Luc Mélenchon. Lequel a fait du « capitaine de pédalo » son meilleur ennemi politique. « Que ce soit Hollande, Valls ou Macron, il y aura toujours un ersatz social-libéral contre lequel se battre », nuance toutefois Éric Coquerel. « Le vrai problème pour Mélenchon, c’est si Montebourg gagne la primaire. Car il y a entre eux une différence de degrés et non de nature », pointe Thomas Guénolé.
Autre hypothèse, sans doute la plus improbable de toutes : l’émergence d’un troisième larron venant combler l’espace vacant de ce que Thomas Guénolé nomme le candidat « banalement de gauche ». Le grand retour de Bertrand Delanoë ? Ou de Martine Aubry ? « En 1994, quand Jacques Delors a renoncé à se porter candidat contre Chirac, on pensait que Badinter ou Joxe allaient prendre la place,confie un frondeur socialiste_. Or, c’est Jospin qui est sorti du chapeau. »_
Coup de théâtre final ou pas, on marche désormais partout sur des œufs. « C’est une campagne très particulière, car on n’a pour le moment aucune visibilité », témoigne Laurent Baumel. Selon lui, « une seule chose est sûre : c’est que Hollande ne sera pas le prochain président de la République ». Sauf qu’en attendant, François Hollande est le maître de l’agenda politique. Et, au moins jusqu’à la mi-décembre, c’est lui le vrai patron.
[^1] Auteur de La Mondialisation malheureuse, First, septembre 2016.
[^2] Ils ne sont que 200 à avoir signé, sur le site NotreidéedelaFrance.fr, une tribune expliquant que la jeunesse soutient François Hollande.
[^3] Sondage Ipsos-Steria/Cevipof, septembre 2016.
[^4] Voir notamment le sondage BVA-Salesforce-Orange du 3 octobre, selon lequel Manuel Valls l’emporterait à 51 % face à Arnaud Montebourg (49 %), tandis que François Hollande serait battu par l’ancien ministre du Redressement productif (48 %).