Quel avenir pour le Ceta, l’accord de libre-échange UE-Canada ?

Loin d’être isolés, les Wallons sont en première ligne d’une opposition au libre-échange qui parvient à mobiliser jusque dans les rangs de la droite.

Erwan Manac'h  • 25 octobre 2016 abonné·es
Quel avenir pour le Ceta, l’accord de libre-échange UE-Canada ?
© Photo : JEAN-LUC FLEMAL / BELGA MAG / BELGA

Finalement, les Wallons ont tenu bon. Noyés sous une pluie de « notes interprétatives », pressés par les réunions de la dernière chance et les ultimatums sans cesse reconduits, les 3 entités régionales que compte la Belgique francophone (Wallonie, Bruxelles-Capitale et communauté linguistique francophone), refusent de signer en l’état l’accord de libre-échange avec le Canada (Ceta).

Paul Magnette, ministre-président de la région de Wallonie et figure de ce refus, est un social-démocrate soucieux d’arrondir les angles. « Le Ceta est le meilleur accord que nous ayons négocié jusqu’à aujourd’hui », déclarait-il, pour enrober son « non », devant son parlement le 21 octobre. Mais il est intraitable sur le respect du « processus démocratique » face à un texte de 1 600 pages négocié dans le secret. Depuis plus d’un an, au prix d’un fastidieux travail d’analyse du texte, auditions d’experts à la clef, son parlement formule 4 exigences :

• Des garanties sur les services publics.

• L’inscription dans le texte du « principe de précaution », totalement absent jusqu’alors du cœur du traité.

• Une clause de sauvegarde pour l’agriculture européenne.

• La suppression du tribunal « d’experts » privés qui doit être créé pour permettre aux multinationales de poursuivre des collectivités lorsqu’une loi compromet leurs « bénéfices attendus ».

Dossier >> Accord Canada-UE, une victoire pour les multinationales ?

Ces lignes rouges signent l’arrêt de mort du Ceta, dans sa mouture actuelle. Même si le sommet de signature est théoriquement maintenu, jeudi 27 octobre, et l’hypothèse d’une signature « toujours possible » selon les négociateurs, il faudrait un coup de théâtre pour y parvenir.

« Nous ne tolérerons pas un quatrième ultimatum »

L’ultime chance d’aboutir sur un accord, ce jeudi, serait que les régions belges s’entendent sur une liste précise d’exigences et que les responsables canadiens et européens fassent une grosse concession. Mais Paul Magnette reste jusqu’alors hermétique à la pression. En atteste son dernier commentaire, glissé ce mardi à l’entrée d’une réunion avec le ministre des Affaires étrangères belge.

On a déjà reçu trois ultimatums, on ne tolérera pas un quatrième, sinon nous cesserons les négociations

© Politis
Paul Magnette (NICOLAS MAETERLINCK / BELGA MAG / BELGA)

Des voix se sont également élevées du côté de la droite belge pour défendre l’idée d’un passage en force. Le leader flamand des libéraux au Parlement européen et ancien premier ministre, Guy Verhofstadt, estime que le Conseil européen du commerce pourrait requalifier le Ceta en « accord non-mixte », relevant de la compétence exclusive de la Commission européenne, ce qui permettrait son adoption sans vote des parlements nationaux. Deux sénateurs belges proposent aussi de faire ratifier par le Sénat une résolution qui permettrait de passer outre l’avis des régions, même s’il n’en a théoriquement pas la compétence. Mais on voit mal les dirigeants européens s’engouffrer dans une telle entreprise, vu le contexte de défiance qu’affrontent déjà les institutions de l’Union.

« Le Ceta est, de facto, mort »

En réalité, le camouflet est énorme. Sur la forme comme sur le fond. Au point que la reprise des négociations ne va pas de soi à Bruxelles, où l’on craint que cela n’incite les États membres à faire entendre à leur tour leurs exigences. D’autant que les concessions demandées par les Wallons dépassent largement les petits ajustements. « Le Ceta est, de facto, mort », tranche le social-démocrate allemand Bernd Lange, président de la commission du commerce international au parlement européen.

Par ailleurs, les Wallons sont loin d’être isolés. Le régionalisme belge les a dotés d’un pouvoir qui les place en première ligne. Mais ce premier vote en précède 28 autres, dont certains seront tout aussi périlleux, aux parlements nationaux des États signataires. Les sociaux-démocrates autrichiens sont timorés et l’heure du choix sera forcément compliquée pour la gauche grecque et portugaise.

En France, environ 120 députés sont ouvertement opposés à l’accord et la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale a voté en octobre 2014 une résolution{: target= »_blank » style= »line-height: 1.42857; background-color: rgb(255, 255, 255); » } très critique sur le Ceta.

Le calendrier est déjà serré au parlement européen, où l’adoption en commission du commerce international est prévue le 5 décembre, pour un vote en plénière mi-décembre ou début janvier. « Les socio-démocrates ne veulent pas de débat. Ils veulent un vote sans aucun travail parlementaire », dénonce Paul-Émile Dupret, conseiller sur les questions de commerce international au groupe de la gauche européenne.

Les juristes aussi s’y mettent. La Cour constitutionnelle allemande, le parlement du Luxembourg, le Sénat irlandais ont émis des réserves sur la conformité des tribunaux arbitraux avec les traités européens. Réserves appuyées récemment par 101 professeurs de droit européens. En France, il faudra attendre la signature du texte pour saisir le Conseil constitutionnel.

Les collectivités locales… Et la droite

En attendant ces échéances, le débat continue pied à pied sur le terrain. Des centaines de collectivités ont voté des résolutions en se déclarant « zone hors Ceta et Tafta [l’accord de libre-échange avec les États-Unis] ». Dont 14 régions et 23 départements français.

Des dizaines de conseillers généraux de droite ont d’ailleurs voté ces résolutions d’opposition aux traités de libre-échange, craignant les conséquences d’une ouverture des marchés publics sur les PME et le tissu économique local. Les opposants au Ceta espèrent amplifier ce début de fronde, à droite. « Quand on expose les retombées clairement, les entrepreneurs sont majoritairement contre le Ceta », estime le maire de Grenoble, Éric Piolle, invité jeudi 20 octobre au sommet citoyen contre le traité devant le parlement européen à Bruxelles. « Une partie du monde économique va perdre des marchés avec le Ceta. Ce sont ces petits patrons qu’il faut aller chercher, car ils peuvent à leur tour convaincre les centristes, voire une partie de la droite, de s’opposer au texte », juge également Maria Arena, eurodéputée socialiste belge.

Ce travail de mobilisation entamé il y a deux ans auprès des élus locaux, par les ONG opposées aux accords de libre-échange, devrait se poursuivre. Après Barcelone, en avril, Grenoble accueillera en février le second sommet des élus et responsables locaux opposés au Ceta et au Tafta.

Car l’agenda est plein de ces traités de libre-échange, dans l’ombre du Tafta et du Ceta. Une myriade d’accords présentent les mêmes caractéristiques, notamment en Afrique avec les « accords de partenariats économiques », et suscitent d’énormes inquiétudes.

À lire >> Dossier accords Europe-Afrique, un marché des dupes

Le « Tisa », accord de libéralisation des services négocié discrètement depuis 2013 par 50 des plus grandes économies mondiales, doit être parachevé le 5 et 6 décembre prochain à Genève.

À lire >> TISA : un clone de l’AGCS pour privatiser les services de santé

Économie Monde
Temps de lecture : 6 minutes

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