13 novembre : Au nom de la sécurité…
Après les attentats, le gouvernement a musclé comme jamais l’arsenal juridique et policier du pays, au mépris des libertés publiques, comme celle de manifester. Et au risque de dérives racistes.
dans l’hebdo N° 1427 Acheter ce numéro
Ce furent les premiers mots du discours de François Hollande devant les parlementaires réunis en congrès à Versailles, le 16 novembre 2015 : « La France est en guerre. » A-t-on bien mesuré alors ce que cette affirmation, abondamment utilisée par Manuel Valls, le PS et la droite dès le soir des attentats à Paris et à Saint-Denis, pouvait, dans la bouche du président de la République, annoncer de mesures exceptionnelles et de remises en cause des libertés publiques ? Pas assez sans doute puisque, ce jour-là, François Hollande a été applaudi debout par l’ensemble des parlementaires sauf un, Pouria Amirshahi.
Le chef de l’État venait pourtant d’annoncer une batterie de mesures sécuritaires prônées jusqu’ici par la droite et l’extrême droite, dont la déchéance de nationalité pour les binationaux, « même nés français », qui auraient été condamnés « pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme ».
Contraire à toutes les valeurs de la gauche, cette dernière mesure n’aurait eu « aucune valeur dissuasive » sur les terroristes, a reconnu récemment François Hollande. Il ne s’est résolu à l’abandonner qu’après quatre mois d’un rude débat, non sans avoir profondément fracturé sa majorité (le 9 février, 119 députés PS ont voté pour, 92 contre, 10 se sont abstenus, et 64 étaient absents), provoqué la démission de Christiane Taubira, garde des Sceaux, et durablement éloigné les électeurs de la « gauche morale ».
Le gouvernement est parvenu en revanche à muscler comme jamais l’arsenal juridique et policier du pays. D’abord avec l’état d’urgence, contre lequel les diverses mobilisations appelées par près de 150 organisations n’ont jamais rassemblé plus de quelques dizaines de milliers de personnes. Décrété en conseil des ministres dès le 14 novembre à 0 heure pour 12 jours, il a été prolongé quelques jours plus tard pour trois mois à la quasi-unanimité des parlementaires dans une version modernisée, mais aggravée, de la loi de 1955. Dans un climat d’unité nationale, seuls six députés ont osé s’opposer à cette dangereuse extension des pouvoirs de police des autorités administratives : trois écologistes, Isabelle Attard, Sergio Coronado et Noël Mamère, et trois socialistes, Pouria Amirshahi, Barbara Romagnan et Gérard Sebaoun, auxquels on peut ajouter Fanélie Carrey-Conte (PS), qui, elle, s’est abstenue.
Peu efficace contre les terroristes, passé l’effet de surprise des premiers jours, l’état d’urgence a permis d’interdire des manifestations et de mettre au pas les écologistes pendant la COP 21, comme l’a avoué cyniquement François -Hollande aux journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme : « Imaginons qu’il n’y ait pas eu les attentats, on n’aurait pas pu interpeller les zadistes pour les empêcher de venir manifester. Cela a été une facilité apportée par l’état d’urgence, pour d’autres raisons que la lutte contre le terrorisme, pour éviter qu’il y ait des échauffourées. » Des interdictions de manifester ont aussi visé des opposants à la loi travail, tandis que les cortèges étaient démesurément encadrés par les forces de l’ordre, faisant de trop nombreux blessés.
L’état d’urgence a néanmoins été prolongé de nouveau après la tuerie de Nice, cette fois pour six mois. Avec quelques dispositions supplémentaires, comme la possibilité de fouiller bagages et véhicules sans instruction du procureur, ou celle de saisir des données informatiques et des téléphones potables.
Cette prolongation, sous le régime de laquelle nous nous trouvons jusqu’au 26 janvier, illustre une tendance bien connue des juristes : les mesures exceptionnelles prises en temps de crise s’ancrent pour longtemps dans les textes, et il est très difficile de revenir en arrière. Celle-ci se justifie d’autant moins que la loi Urvoas, adoptée au printemps, « organise déjà, par les compétences qu’elle octroie à l’exécutif, une sorte d’état d’urgence sans état d’urgence », rappelait Françoise Dumont (LDH) dans nos colonnes (Politis n° 1381). Et d’autres dispositions (la loi renseignement, le PNR européen…) organisent déjà une surveillance de masse.
Si le gouvernement estime désormais que l’arsenal « est complet », ce n’est pas l’avis des dirigeants de la droite, nombreux à renchérir dans le sécuritaire, sans s’embarrasser de ce que Nicolas Sarkozy appelle des « arguties juridiques ». La bataille contre la loi travail avait remis la question sociale sur le devant de la scène, le massacre de Nice leur a permis d’imposer le terrorisme, la sécurité et, par extension, l’islam et l’immigration dans la campagne présidentielle. Jusqu’à la nausée.