À bicyclette avec Albert Einstein
Le physicien Étienne Klein nous emmène avec humour et pédagogie sur les traces du père de la théorie de la relativité.
dans l’hebdo N° 1430 Acheter ce numéro
Sachant qu’il vous faudra deux heures pour lire le livre d’Étienne Klein confortablement assis dans un canapé, combien de temps vous prendrait la même lecture à bord d’un train lancé dans l’espace à pleine vitesse ? La devinette, qui est à peu près l’équivalent du kilo de plumes et du kilo de plomb, donne le ton du livre savant et joyeux d’Étienne Klein, qui se gausse des contresens à propos de la théorie de la relativité.
Le physicien, parti à bicyclette sur les traces d’Albert Einstein, manie l’humour à des fins délicatement pédagogiques et nous offre un livre métaphorique. Avec la simple observation d’une ligne de crête dans le Jura suisse ou d’une pendule de gare, on a une méditation bucolique et l’esquisse d’une théorie physique. Et lorsque Klein décrit la topographie de Le Coq-sur-Mer, ultime étape belge et européenne d’Einstein, c’est pour y apercevoir la géométrie d’Euclide. Tout est mêlé. Humour et gravité (et gravitation). Poésie et mathématique. Physique et métaphysique.
En cela, Klein est fidèle à celui dont il poursuit la mémoire. Car ainsi était Einstein, qui se posait en permanence de drôles de questions, du genre : « Que se passerait-il si je chevauchais un rayon de lumière ? » On dirait aujourd’hui de cet humaniste qu’il était sérieusement « décalé ». Un peu déjanté, même, et diablement subversif. Rétif à toute forme d’institution et d’autorité. Ce qui lui causa d’abord quelques ennuis.
C’est un rebelle que Klein nous fait découvrir au gré d’une biographie originale, dans laquelle on pourrait croire que l’auteur est le contemporain de son sujet. Nous visitons les lieux où Einstein a élaboré cette fameuse théorie qui a « révolutionné la relation entre l’espace et le temps ». Aarau, en Suisse, où il se trouve une famille adoptive, puis Zürich et Berne, où il va finalement écrire en 1905 ces cinq articles qui vont changer notre conception du monde.
Le lecteur un peu rompu à la physique sera comblé parce que les moments pédagogiques sont sans concessions. Les autres y trouveront leur lot d’humour et de poésie [^1]. Ils rencontreront surtout en Einstein un personnage étrange, et même un peu étranger au monde, voyant toujours autre chose que ce que ses yeux semblent fixer. Quelque chose derrière l’apparence. Klein dit discerner sur les photographies qui montrent Einstein se promenant avec un ami comme « un volume d’air » qui figure « une séparation ». On aura compris que « le pays qu’habitait Albert Einstein », c’est la physique. Cet éternel exilé contraint de fuir le nazisme n’en eut pas d’autre. Enfin, pour en revenir à notre devinette, prévoyez plutôt trois heures de lecture, même à bord d’un avion. Car, s’il y a dans le livre de Klein beaucoup de joyeuses descentes en roue libre, il y a aussi quelques routes de montagne escarpées, comme ce dialogue imaginaire entre Einstein et Galilée, que l’on aborde en danseuse.
[^1] À ceux qui veulent « comprendre », je conseille l’article d’Étienne Klein dans notre hors-série « Révolution(s) ».
Le pays qu’habitait Albert Einstein, Étienne Klein, Actes Sud, 240 p. 20 euros.