Cachez cet antisémitisme…
M. Rioufol, tout à son acclamation de la victoire de Trump, omet de s’offusquer de cet antisémitisme-là.
dans l’hebdo N° 1429 Acheter ce numéro
D’assez longue date déjà, des publicistes d’extrême droite [^1] spécialisés dans le terrorisme intellectuel usent, pour disqualifier quiconque n’adhère pas à leurs vues dépravées – ou n’entre pas dans leurs modèles sociétaux –, d’un moyen qui ne s’était plus guère vu depuis l’extinction des derniers feux du stalinisme : l’accusation, infâmante, d’antisémitisme.
On les a par conséquent entendus proférer, depuis le début du siècle, et avec leur coutumière grossièreté, que « les banlieues » étaient antisémites, que « l’extrême gauche » était antisémite, que « les musulmans » étaient antisémites, etc.
Naturellement – nous parlons, rappelons-le, de réactionnaires patentés : ces personnages sont, pour la plupart, de fervents supporteurs de l’actuel gouvernement israélien et ne manquent jamais d’acclamer la virile fermeté dont celui-ci fait preuve lorsqu’il procède au harcèlement des populations palestiniennes. Non moins évidemment, toute critique de ce gouvernement relève, dans leur propagande [^2], de ce même antisémitisme qu’ils détectent donc partout chez leurs contradicteurs, mais plus encore qu’ailleurs dans ce qu’ils appellent (sans jamais se soucier, il va de soi, d’introduire dans leur appréhension de ce mot la plus infime nuance) l’« antisionisme ».
C’est ainsi que le bloc-noteur vendredique du Figaro de Serge Dassault – l’inénarrable Ivan Rioufol, qui est parti si loin à droite qu’il n’est plus possible de le suivre sans s’équiper d’abord de jumelles à très fort grossissement – peut tranquillement inviter [^3] « les belles âmes à ouvrir les yeux sur le nouvel antisémitisme, qui a ses alliés chez les antisionistes et à l’extrême gauche ».
Mais voici que soudain Donald Trump devient président des États-Unis d’Amérique. Et voici que, dans tous leurs états, ses supporteurs se laissent aller à une exubérance qui leur fait incendier une église noire, profaner un cimetière juif [^4] et tracer partout des croix gammées, puis quelques slogans dont la mémoire s’était un peu perdue, comme « Go home, Jews ».
Et voici que M. Rioufol, tout à son acclamation de la « large victoire de Donald Trump » – marque, selon lui, d’un « réveil des peuples [^5] » qui « n’en peuvent plus d’étouffer sous la chape de plomb du politiquement correct » –, omet de s’offusquer de cet antisémitisme-là, pourtant bien réel et complètement terrifiant. Et certes : il n’est pas seul, dans sa coterie de prosateurs décomplexés, à ne pas vouloir, semble-t-il, se confronter de trop près à ce qu’a (r)éveillé là l’élection américaine.
Mais à la fin des fins : est-ce que ce n’est pas un tout petit peu gênant, quand on passe son temps à hurler que les partisans du vivre-ensemble sont des fauteurs de haine, de festoyer dans le même camp que des traceurs de svastikas ?
[^1] Flanqué aussi de quelques excellences « de gauche » : nous y reviendrons sous quelque peu, tu verras.
[^2] De même, d’ailleurs, que chez un Manuel Valls – pour ne citer que lui.
[^3] Dans un billet du mois de juin 2014.
[^4] Liste non exhaustive, hélas…
[^5] Sens-tu bien les exhalaisons d’une telle rhétorique?
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.