« F » comme flippant

Évidemment, le choix d’un tel lexique – travail, famille, patrie, races… – ne doit rien au hasard.

Sébastien Fontenelle  • 30 novembre 2016 abonné·es
« F » comme flippant
© Photo : PHILIPPE LOPEZ / AFP

Monsieur F. est candidat à l’élection présidentielle.

Monsieur F., depuis de longs mois, glisse dans sa prose des mots triés, et ces mots font des formules dont l’addition dessine l’esquisse d’un programme – ou d’une ambition, à tout le moins.

Monsieur F. dit : « Je veux libérer le travail. » Puis : « Je libérerai la famille. » Puis encore : « J’aime ma patrie. »

Monsieur F. dit : « Non, la France n’est pas coupable d’avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Nord. » Puis : « Il n’y a pas de problème religieux en France. Il y a un problème avec l’islam. » Puis encore : « On a combattu la volonté des juifs de vivre dans une communauté qui ne respectait pas toutes les règles de la République française. »

Monsieur F. dit : « Le patriotisme est la seule façon de transcender nos origines, nos races et nos religions. »

Quand ces proférations font des polémiques – au demeurant vite passées, car l’époque est fort tolérante aux logorrhées d’où montent des remugles pétainards, Monsieur F. s’étonne et s’offusque.

On lui prête, jure-t-il, des intentions – ou des pensées – qui ne sont pas les siennes.

Mais, bien évidemment, le choix qu’il fait d’un tel lexique – travail, famille, patrie, islam, juifs, races – ne doit rien au hasard.

Supposer que Monsieur F. en userait par coïncidence, et sans jamais se rendre compte que ce vocabulaire est à (très) peu près le même qu’employait naguère la France maréchaliste, serait faire insulte à ses talents de politicien professionnel, established in 1976, et parfaitement rompu aux gymnastiques langagières de la battue d’estrades.

C’est à dessein, n’en doutons pas, qu’il mélange son ultralibéralisme économique de ces formules prises dans le cloaque où l’extrême droite serre depuis toujours sa propagande ; à dessein qu’il excite dans sa clientèle ce vieux fond de chauvinisme dégueulasse [^1] dont l’histoire enseigne qu’il prélude régulièrement à la persécution de qui ne respecterait pas « toutes » ses « règles ».

Mais Monsieur F. a des lieutenants – de fidèles collaborateurs – qui jurent après cela qu’il est le dernier rempart de la démocratie contre le Front national…

Et ce n’est pas complètement faux – à condition toutefois de concéder que la peste fait un remède miracle contre le choléra.

[^1] Monsieur J., qui vient de concourir contre Monsieur F. dans une consultation partisane, s’est plaint au jour de sa défaite d’avoir été la cible d’une « campagne dégueulasse ». Il a parfaitement raison : c’est en effet ce qui s’est passé, puisque les supporteurs de son adversaire l’ont portraituré, à grand renfort de mensonges infects et de montages immondes, et sur un mode qui rappelait irrésistiblement les charivaris antisémites du siècle dernier, en suppôt de l’« islamisme ». Las : loin de tirer la juste conclusion de cette – tardive – découverte de ce qui épaissit désormais la sauce idéologique de sa famille politique, Monsieur J. ne semble pas vouloir la laisser à ces saloperies.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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