« La Mort de Louis XIV » : Le corps désolé du roi

Albert Serra montre l’agonie de Louis XIV en adoptant un point de vue strictement matérialiste.

Christophe Kantcheff  • 2 novembre 2016 abonné·es
« La Mort de Louis XIV » : Le corps désolé du roi
© Photo : DR.

Un astre décline. Le Roi-Soleil achève sa vie dans le clair-obscur de sa chambre, qu’il ne quitte plus. La Mort de Louis XIV est un film d’agonie, mais on pourrait tout aussi bien dire un film d’apprentissage. Apprentissage de la mort qui vient, qui gagne. On ne sait plus ce qu’est une agonie, maintenant qu’on décède à l’hôpital et que la mort doit rester invisible.

Pour son cinquième long métrage, Albert Serra a choisi de filmer frontalement la fin d’un homme, dans son lit, durant ses dernières semaines. Pas n’importe quel homme. Un roi qui a dominé tout un siècle, le XVIIe, au cours d’un règne d’une longévité record. Qui a imprimé sa marque autoritaire sur une France de plus en plus centralisée, mais en proie à de multiples souffrances. Cependant, la dimension politique est tenue au seuil de ce huis clos. Louis XIV reste un personnage puissant et redouté. Les courtisans se rendent à son chevet et l’applaudissent lorsqu’il parvient à manger une bouchée. On se prosterne devant lui comme on a toujours fait à la cour.

Mais le roi est nu. Son pouvoir ne le préserve pas de ce qui s’annonce. Il n’est plus question d’incarnation monarchique, mais d’un corps, en l’occurrence un ensemble de vaisseaux, de chairs et de substances usées, défectueuses. Matérialiste, Albert Serra écarte toute métaphysique explicite.

On s’interroge sur la marque noirâtre apparue sur la jambe du monarque et qui le fait souffrir. Celle-ci s’étend. Le médecin particulier du roi (Patrick d’Assumçao), l’homme désormais le plus important de la cour, est impuissant. Ce n’est pas sans réticence qu’il accepte la venue des médecins de l’Académie (« on sait ce qu’on doit en penser depuis Molière », dit-il). Ceux-là officient en groupe, mais leurs remèdes ne sont pas plus efficaces. Le malade ne s’alimente plus, s’affaiblit de jour en jour. Le roi détruit quelques courriers, reçoit son fils, le -Dauphin, auquel il recommande de ne pas goûter le luxe, contrairement à lui. Louis XIV meurt de la manière commune : son corps le fait souffrir, l’exténue, le lâche.

Magistral dans ce rôle crépusculaire, Jean-Pierre Léaud emmène son auguste personnage dans des territoires isolés, asphyxiés, le dotant de son regard acéré, comme si le monarque s’accrochait jusqu’au bout à son royaume. La Mort de Louis XIV est un nouveau sacre pour celui qui restera l’éternel Antoine Doinel.

La Mort de Louis XIV, Albert Serra, 1 h 55.

Cinéma
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