« La vérité, toute la vérité… »
Une journaliste parisienne n’a aucun doute sur une femme, son existence, la vie de province, et les notables, qui y sont toujours préservés.
dans l’hebdo N° 1430 Acheter ce numéro
Cela commence ainsi : « Chambéry, une épouse s’ennuie. Elle a le “mauvais” âge, 45 ans, habite une villa trop grande dans une ville trop petite. Elle a le même mari, le même métier et les mêmes amis depuis vingt ans. […] Elle a envie d’un amant. Il habite la même ville, évidemment. Il a 38 ans. […] Elle noircit ses cheveux, achète des robes et des talons hauts. Se remet au sport. Sort. Fume et boit en riant fort. Elle revit, heureuse de croire qu’elle plaît encore. » Ce sont les premiers paragraphes d’un article qui s’étend sur deux pages dans Le Monde du 23 novembre, signé Pascale Robert-Diard, « envoyée spéciale » à Chambéry, chroniqueuse judiciaire réputée. La journaliste a assisté au procès en appel aux assises de Nathalie Michellier, condamnée pour le meurtre de son amant.
L’article est nourri par les déclarations des accusés. Mais il ne s’agit pas d’un simple compte rendu. Pascale Robert-Diard ne cherche pas non plus à démonter le fonctionnement de la justice aux assises : l’attitude des juges, la stratégie des avocats, la parole des experts… L’auteure dresse le portrait de cette femme, qui a récolté une peine de 20 ans de prison en première instance, avec une image en tête : « La Bovary de Chambéry », comme l’annonce son titre. La Bovary ? Celle de Flaubert était une fiction, elle émanait de son esprit (d’où le célèbre : « Madame Bovary, c’est moi ! »). La référence joue ici le rôle de stéréotype, mais à propos d’une personne réelle. Tout l’article opère ainsi : il enferme Nathalie Michellier dans les mailles d’une représentation figée, intrusive, surplombante. D’où ce malaise entêtant au fil de la lecture. Une journaliste parisienne n’a aucun doute sur une femme, son existence, la vie de province, et les notables, qui y sont toujours préservés.
Comme l’a écrit un historien, Philippe Artières, dans Libération, à propos du livre à succès, Lætitia, d’un de ses pairs, Ivan Jablonka : « Il y a ainsi à l’œuvre un désir de puissance qui voudrait que l’auteur livre la vérité. » On peut appeler ça un abus de pouvoir. De cette violence symbolique, Pascale Robert-Diard n’a peut-être pas conscience, tant l’exercice est accepté, célébré. Mais que penserait-elle si, à son tour, elle se retrouvait prisonnière d’un stéréotype ?
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