L’abandon du social

En perdant sa capacité à négocier des compromis, la social-démocratie s’est peu à peu vidée de sa substance.

Michel Soudais  • 30 novembre 2016 abonné·es
L’abandon du social
© Photo : Serge TENANI / Citizenside / AFP

Le 14 janvier 2014, François Hollande vient d’exposer son pacte de responsabilité devant plusieurs centaines de journalistes convoqués à l’Élysée. Il a décidé d’accorder quelque 40 milliards de cadeaux supplémentaires aux entreprises, au prix d’une cure d’austérité pour l’État, les collectivités territoriales et la protection sociale. Et là, en réponse à une question d’Ivan Levaï, qui lui assure que le mot est « rassurant », il revendique être « social-démocrate ».

En mai 2007, après la défaite de Ségolène Royal à la présidentielle, quand Dominique Strauss-Kahn appelait le PS à « mettre en œuvre la rénovation sociale-démocrate », le même François Hollande répliquait que la ligne de son parti « ne saurait être sociale-démocrate », cette dernière étant à ses yeux un « modèle assez vieillissant ». Dans Libération (23 juin 2007), Pierre Rosanvallon, figure intellectuelle de la « deuxième gauche », était plus radical : « La social-démocratie se présente aujourd’hui en Europe comme la trace résiduelle d’une histoire glorieuse mais achevée. »

Idée neuve dans les années 1960, la social-démocratie a pu constituer une « réponse organisée à un moment précis du capitalisme industriel, qui nécessitait la mise en place de grandes institutions de protection collective, et où patronat et syndicats étaient en mesure de conclure des compromis globaux sur les liens du capital et du travail », poursuivait Pierre Rosanvallon. La globalisation et la financiarisation de l’économie, qui se sont accélérées avec la chute du mur de Berlin, ont tout chamboulé. Comment négocier des compromis quand le patron est un lointain fonds de pension ? Comment croire à la possibilité de négocier des compromis dans un cadre national quand le capital n’a plus de frontières et n’est même plus localisable ? Comment partager les fruits de la croissance quand il n’y a plus de croissance ?

Incapable de répondre à ces questions nouvelles, la social-démocratie a vu très vite ses électeurs traditionnels – pour faire court, les classes populaires – perdre le chemin des urnes. Croyant compenser ces désaffections par la séduction de « nouvelles couches sociales », les principaux dirigeants sociaux-démocrates, dans la foulée de l’équipe des « nouveaux démocrates » de Bill Clinton, ont opté pour ce que Jean-Luc Mélenchon a appelé une « ligne démocrate » qui l’a vite emporté dans tous les partis sociaux-démocrates. Pour eux, la question sociale est devenue secondaire : « Je ne pense plus souhaitable une société sans inégalités », déclare en 1999 -l’Allemand Gerhard Schröder ; « Nous sommes à équidistance entre les travailleurs et les entreprises », abonde l’Italien Walter Veltroni. Ils ont choisi de s’adresser à « la plupart des gens [qui] ont abandonné depuis longtemps la représentation du monde inspirée de la droite et de la gauche » (Manifeste Blair-Schröder, 1999). De prôner l’adaptation à la mondialisation sous hégémonie américaine, multipliant les réformes fiscales et sociales pour cela.

Si François Hollande et la quasi-totalité des dirigeants et élus du PS se réclament désormais d’une ligne politique qui n’est plus qu’un cadavre, c’est que l’étiquette de social-démocrate est devenue synonyme de « modéré ». Le sens originel s’est perdu. Reste le mot.

Monde
Publié dans le dossier
Une social-démocratie à l'agonie
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