Lanceurs d’alerte : « Admettre que la corruption est un fléau n’est pas suffisant »
La loi Sapin 2 sur la transparence sera examinée mardi au cours d’une lecture ultime à l’Assemblée nationale. Le texte prévoit notamment la création d’un statut protecteur pour les « lanceurs d’alerte ». Mais plusieurs associations le jugent trop restrictif, notamment depuis que le Sénat en a modifié la définition, vendredi 4 novembre.
Un collectif de lanceurs d’alerte a adressé ce lundi une lettre ouverte aux présidents de l’Assemblée, du Sénat et à François Hollande. En voici le texte intégral :
« La France a jugé nécessaire de se doter d’un arsenal juridique à la hauteur de l’enjeu majeur du XXIe siècle qu’est la lutte contre la corruption. À l’initiative de parlementaires engagés dans la défense d’une justice pour tous, et avec la participation active de citoyens vigilants issus de la société civile, une proposition de loi a été élaborée pour permettre au pays de combler son retard en matière de lutte contre la corruption notamment en protégeant ce que l’on appelle communément les « lanceurs d’alerte ».
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Cette loi a été chahutée, alourdie d’amendements. Elle a été vidée de sa substance en première lecture au Sénat, rétablie à l’Assemblée nationale, et doit être examinée une troisième fois à l’Assemblée, à compter de demain, mardi 8 novembre 2016, après avoir subi de nouveaux outrages. C’est dans ce contexte que nous, lanceurs d’alerte, souhaitons alerter les députés sur l’importance de cette loi.
Admettre que la corruption est un fléau n’est pas suffisant. C’est se perdre en paroles quand des actes sont attendus. Et si cette loi a réellement l’ambition de s’attaquer à ce cancer qui ronge nos institutions et notre République, elle ne peut être ni ambigüe, ni dans la demi-mesure.
Nous en appelons au président de la République, au président de l’Assemblée nationale et au président du Sénat :
Cette loi est l’avenir de notre démocratie, et nous ne mentirons pas à nos enfants en leur promettant un meilleur lendemain sans se doter de moyens accessibles, élémentaires, et efficients.
La définition et la protection des lanceurs d’alerte reposent sur des principes fondamentaux clairs et non négociables qu’il conviendra d’ajouter ou de maintenir dans le texte définitif :
• La bonne foi du lanceur d’alerte et le caractère désintéressé de son action : la loi ne doit pas être détournée de son but pour servir des intérêts personnels ou commerciaux, ou pour nuire à autrui. Aussi nous, lanceurs d’alerte, demandons que soient prévues des sanctions lourdes et exemplaires contre toute personne qui agirait avec mauvaise foi et/ou la volonté de nuire.
• « Des faits qui représentent une menace à l’intérêt général » : cette définition [retirée du texte par le Sénat, NDLR], prend tout son sens dans un dispositif qui se veut aussi préventif que répressif. Il ne peut concerner uniquement « des faits portant atteinte à l’intérêt général », comme l’a réécrit le Sénat.
• La loi doit permettre de conserver l’anonymat du lanceur d’alerte s’il le souhaite, et sanctionner la divulgation non consentie de son identité. Cette protection doit permettre d’éviter des représailles et faciliter la réintégration sociale et professionnelle du lanceur.
• La loi doit permettre au lanceur d’alerte une souplesse dans le choix du canal de transmission. Elle ne peut lui imposer d’alerter sa hiérarchie en premier lieu, s’il estime qu’elle pourrait être impliquée dans les faits dénoncés et par conséquent, représenter un risque pour le maintien de son emploi.
• La prise en charge des frais de justice : dans la lutte qui oppose le lanceur d’alerte à son employeur, le rapport de forces est par essence inégal. Le rôle de l’État est d’assurer des mécanismes qui permettent de le rééquilibrer au profit de la partie la plus faible. Puisqu’il intervient dans l’intérêt général, l’État doit assurer le lanceur d’alerte de son soutien financier pour les actions judiciaires dont il pourrait être victime dans le cadre de son alerte. Les lanceurs d’alerte dont les procédures sont en cours doivent pourvoir bénéficier de cette mesure de protection.
• La réparation des préjudices : par son action et même s’il n’est pas souvent victime directe des faits dénoncés, le lanceur d’alerte s’expose à une marginalisation sociale et à une exclusion de son corps professionnel. Les préjudices moraux et financiers subis revêtent un caractère punitif et victimisent des personnes agissant de bonne foi et dans l’intérêt général. « Lanceur d’alerte » n’est ni un métier, ni un sacrifice. Par contre, il est essentiel qu’un dispositif prévoie un juste dédommagement.
• La transaction pénale : elle ne doit pas être une réponse à une alerte donnée, car cela reviendrait à légaliser la corruption. Elle doit être une mesure de dissuasion, et représenter un montant suffisamment élevé pour être efficace. En aucun cas la transaction pénale ne doit dispenser d’un jugement, auquel tout citoyen est soumis.
• Une définition inclusive : l’intérêt général se manifeste dans tous les domaines d’activité, et ne saurait souffrir d’une quelconque exception, que ce soit le domaine bancaire, commercial, médico-social, environnemental ou administratif. La loi ne peut pas remettre en question le dispositif de la loi de 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement.
• Sanctionner les personnes ayant fait obstruction à la remontée et au traitement de l’alerte : les actes relevant de la complicité passive des personnes ou des organes de contrôle doivent être lourdement sanctionnés, dans un but dissuasif et punitif.
Cette loi est l’occasion pour la représentation nationale de donner un signal fort de sa volonté de lutter avec énergie et efficacité contre la corruption. Nous interpellons les parlementaires pour que ce texte soit à la hauteur de ses promesses. »
Signataires :
Nicolas Forissier, blanchiment de fraude fiscale (UBS), Paris.
Céline Martinelli et Mathieu Chérioux, blanchiment d’argent, blanchiment de fraude fiscale (Banque Pasche/Crédit Mutuel), Monaco et France.
Céline Boussié, lanceuse d’alerte médico-social (IME Moussaron), Agen.
Françoise Nicolas, détournement de fonds publics (ministère des Affaires étrangères, Ambassade de France au Bénin).
Gilles Mendes, détournement de la Loi Handicap, Cherbourg.
Valérie Pouilly, domaine notarial.
Gilles Reynaud, Président de l’association « Ma Zone Contrôlée », conditions de travail et de vie des salariés de l’industrie nucléaire.
Rémy Garnier, affaire Cahuzac.
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