Les anti-Trump dans la rue
Après le choc de l’élection, les opposants au nouveau président se mobilisent. Tout en se posant des questions sur leurs propres erreurs. Reportage
dans l’hebdo N° 1428 Acheter ce numéro
« Donald Trump n’a pas les compétences pour être président, c’est un homme de divertissement. » Sam Liebman, une supportrice d’Hillary Clinton « depuis le début », traduit bien le sentiment des cinq mille manifestants réunis samedi 12 novembre à New York. Ces marcheurs sont des jeunes (dont beaucoup d’adolescentes), des seniors, des gays et des lesbiennes, des hispaniques et des Afro-Américains inquiets de ce que leur réserve le nouveau président. Malgré ses propos conciliants le soir de son élection – il a dit vouloir être le « président de tous les citoyens » –, les manifestations ne faiblissent pas. Tous les jours depuis son élection, des milliers d’Américains, ulcérés par ses déclarations sexistes et xénophobes, marchent dans les grandes villes pour marquer leur désapprobation. « Mon espoir, glisse Dan Knitzer, un militant démocrate du New Jersey (dans l’est de New York), c’est que ce mouvement se poursuive tous les soirs, comme Occupy Wall Street en 2011. »
Le jeune homme le reconnaît volontiers : Hillary Clinton n’était pas sa candidate de prédilection. Il avait soutenu le bouillonnant Bernie Sanders lors des primaires, avant de se ranger. Après avoir fait campagne pour l’ex-Première Dame dans l’État clé du New -Hampshire, il a vu, incrédule, l’histoire changer de camp ce 8 novembre. « On n’a rien vu venir. » Comment Donald Trump pourrait-il trouver grâce à ses yeux ? « Il faudrait qu’il commence par s’excuser pour tout ce qu’il a dit et qu’il rejette le soutien du Ku Klux Klan », lance-t-il.
Carla Popenfus, la cinquantaine, venue manifester avec une amie, a elle aussi voté pour Bernie Sanders lors de la primaire. Et en veut aux supporters du sénateur du Vermont qui ne sont pas allés voter le 8 novembre. « Je suis atterrée que certains supporters de Bernie Sanders ne soient pas allés voter ou n’aient pas voté Clinton, dit-elle. C’est de leur faute si nous sommes coincés dans cette situation. Le Parti démocrate a oublié les travailleurs et les couches populaires, c’est une erreur, mais ce n’était pas une raison pour faire le jeu de Trump », s’exclame cette New-Yorkaise qui est allée faire du porte-à-porte en Floride pour la candidate démocrate.
Après l’élection, certains supporters de Bernie Sanders ont assuré qu’il aurait pu battre Donald Trump en raison de son attrait auprès de l’électorat blanc populaire, séduit par ses positions anti-establishment et contre les traités de libre-échange, qu’il accuse d’avoir saigné l’économie américaine. Quand Hillary Clinton a remporté la primaire, certains se sont reportés sur la candidate écologiste Jill Stein ou le libertaire Gary Johnson. Cela a-t-il eu un impact sur le résultat final ? Cela n’a certainement pas aidé la démocrate. Dans le Wisconsin, Jill Stein a remporté environ 31 000 votes, alors que Clinton a perdu l’État pour 27 000 petits votes. Même histoire dans le Michigan, où Stein et Johnson ont remporté à eux deux 223 000 votes, alors que Clinton n’était devancée par son adversaire républicain que de 12 000 voix.
Joshua Barnett, un architecte spécialisé dans le logement social, a soutenu Bernie -Sanders et s’est rabattu sur Jill Stein à l’élection générale. Aujourd’hui, il n’a pas de regrets. « Je déteste les supporters de Trump et leur xénophobie, mais ils sont désespérés. Je ne veux pas les diaboliser. Ils ont peur pour eux et pour leurs enfants et, à leurs yeux, Hillary -Clinton représentait le statu quo, s’exclame-t-il. Chaque élection est un manège de deux partis qui représentent les riches. Pour moi aussi, Clinton représentait l’absence de -changement. En matière de logement pour les pauvres, ce sur quoi je travaille, elle n’avait aucun plan. Elle a oublié les couches populaires. »
Le syndicaliste est venu manifester car Donald Trump représente pour lui « la course vers le bas ». « Trump ne fera que détériorer une situation qui est déjà mauvaise. Le pour-cent le plus riche de la population continue de s’enrichir. Nous devons tous descendre dans la rue », lance-t-il.
Les premiers jours du président élu ont été marqués par ses tentatives de rassemblement. Après avoir mené une campagne immonde contre Barack Obama en l’accusant de ne pas être né aux États-Unis, il a dit de lui qu’il était « une très bonne personne » après l’avoir rencontré pour la première fois à la Maison Blanche le 10 novembre. Mais, le même jour, il a qualifié la démarche des manifestants d’« injuste », avant, neuf heures plus tard, de louer leur action. Il a aussi accepté de revoir sa position sur l’Obamacare, la loi qui a permis à 20 millions d’Américains de se doter d’une assurance santé. Partisan de son abrogation pure et simple pendant la campagne, il a indiqué qu’il pourrait en conserver une partie.
Cela sera-t-il suffisant pour calmer ses détracteurs ? Pas pour Mike Hickey, un fonctionnaire du département de l’éducation de la Ville de New York. « Il ne me fera jamais changer d’avis, affirme-t-il. S’il croit qu’il peut nous faire oublier tout ce qu’il a dit en adoucissant le ton et ses propositions, il se trompe. Il est allé trop loin. »